Quelle formation à la psychanalyse ?

Quelle formation à la psychanalyse ?

Chloé Blachère
Vendredi 7 janvier 2022

J’ai découvert récemment, avec étonnement, qu’il existe en France des centres proposant des formations à la psychanalyse qui se déroulent exclusivement à distance. Parallèlement à cela, j’apprends il y a quelques jours, en lisant une brève publiée par Fernando de Amorim[1], que la formation du psychanalyste est l’objet de libertés prises par certains, que ce soit en France ou au-delà de nos frontières. Pour les limiter, l’exercice de la psychanalyse en vient à être règlementé, comme c’est le cas en Italie, où sa pratique est conditionnée, depuis plus de 10 ans, par l’obtention du titre de psychothérapeute.

La singularité de la psychanalyse, nous indique Amorim, c’est « sa compétence à révéler à l’être la possibilité de construction de son désir »[2]. C’est cette compétence qui la distingue d’autres orientations, telles que celles dont la finalité est la disparition du symptôme dont se plaint un être. Je pense par exemple aux TCC (Techniques cognitivo-comportementales), dont certaines formations peuvent se dérouler à distance, et qui consistent en l’apprentissage de protocoles. La psychanalyse ne consistant pas en l’application de protocoles, quelle peut être, dès lors, la spécificité de son apprentissage ?

Mon expérience, et donc ma formation à la psychanalyse, consistent, depuis plusieurs années, en une articulation dynamique entre :
  • ma psychanalyse personnelle,
  • un travail théorique qui, dans mon cas, prend actuellement la forme d’une thèse de doctorat à l’université, de groupes de lectures de l’œuvre de Freud et Lacan, d’autres groupes de travail sur des thématiques spécifiques, de ma participation, comme auditrice et comme intervenante, à des colloques, des séminaires, des journées d’étude, etc.,
  • mon travail clinique, c’est-à-dire ma consultation au sein de laquelle je reçois des patients (en psychothérapie) et des psychanalysants (en psychanalyse),
  • des supervisions individuelles et de groupe lors desquelles, plusieurs fois par semaine, j’expose mon travail et en reçois la critique, de manière à ajuster la conduite des cures dont j’ai la responsabilité clinique.

Tous ces temps d’échanges et de travail, avec mes pairs et mes aînés, sont au service des personnes qui m’honorent de leur confiance lorsqu’elles viennent parler, en séance, leurs pensées, leurs rêves et leur corps. Cette responsabilité, je l’ai éprouvée pour la première fois lorsque j’ai reçu un premier patient à ma consultation en libéral. J’avais depuis plusieurs années une pratique institutionnelle en tant que psychologue clinicienne. Pourtant, ce n’est que lorsque j’ai ouvert mon cabinet que j’ai pris la mesure de ce qu’est le transfert et de la responsabilité clinique et thérapeutique qui est confiée à ceux qui occupent la position de clinicien. J’ai identifié, à ce moment-là, deux voies possibles et le choix qui me revenait de poursuivre sur l’une ou l’autre de ces voies : celle de répondre à la demande du patient pour me soulager du poids du transfert, trop lourd à supporter, ou bien celle de m’engager dans une formation solide, qui me permette de supporter le transfert et de conduire des psychothérapies et des psychanalyses.

Mon expérience m’a appris que chacun des temps qui jalonnent ma formation est déterminé par ma présence corporelle dans différents lieux : la position de psychanalysante lorsque je suis sur le divan dans ma cure personnelle, la position d’étudiante lorsque j’apprends, sur les bancs de l’université ou ailleurs, la position de clinicienne lorsque je reçois des patients et des psychanalysants. Cet engagement du corps compte comme un élément déterminant de la construction d’une position clinique. Et si ces différentes positions évoluent dans le temps, il est essentiel que chacune d’entre elles puisse être observée tant que le clinicien continue de conduire des cures. Je fais notamment référence à la psychanalyse du psychanalyste sans fin, proposée par Amorim.

Cette rigueur clinique vise à limiter la facilité avec laquelle le clinicien est à même d’introduire la dimension imaginaire dans sa clinique, ce dont l’effet est avant tout l’écueil de la conduite des cures dont il a la responsabilité. Tous les différents temps qui jalonnent la formation du psychanalyste participent donc à cette limitation. Ils sont autant de garanties que le travail peut être assuré correctement.

Au regard de tous ces éléments, dans quelle mesure une formation 1) limitée dans le temps, 2) réalisée à distance, peut-elle prémunir des dérives qui menacent l’exercice de la psychanalyse, et sa compétence ?
 
[2] Ibid.