Lettre du RPH Juin 2018

  Lettre du RPH

Édith de Amorim

Juin 2018

 

 

A quoi ça sert ?

 

 

 

         L’actualité s’emballe, mais sans papier de soie, et n’est pas de toute première fraîcheur. Normal, tant elle semble – en ce mois de juin – remonter l’échelle pleine des phlegmes du temps qui tousse.

 

         Ainsi des discours populistes qui disent tout haut ce que tous pensent tout bas, à savoir la haine de l’autre qu’il soit migrant, de l’autre sexe, de l’autre camp. Ainsi des discours pensant bien et pansant mieux que les autres. Aucune nouveauté hormis ce vieux cheval sur le retour que l’on croit toujours dessoudé : discours mû par une pensée haineuse charriant ses évidences, roulant ses justifications élimées, dévidant ses anathèmes.

 

         Nos jours refont passer les plats de ce renouveau aux charmes rédempteurs : enfin dire haut et fort ce qu’on pense de l’autre, « Quel bien vilain trou dans votre méchante culotte vous avez-là ! »

 

Ce ne sont pas des paroles qui libèrent, puisqu’elles ne font que rejeter la responsabilité de nos malheurs sur l’autre, mais ce sont des paroles qui soulagent ; soulagent la vessie, ou la panse. Ces paroles de haine grossière, déclaratives de mépris et de je ne t’aime pas, peuvent délivrer de tensions, dans un premier temps. Un temps premier où règne le chaos d’un ordre étroit ou les Pilate n’en finissent jamais de se laver les mains du sang des justesses infinies.

 

D’un bout à l’autre de la chaîne des opinions éclairées et taillées à cette aune identificatoire du « moi, je » on n’entend que rejet pour toute tentative de rapiéçage d’une réalité diplomatique pour faire tenir l’ensemble des pièces qui, chacune, se pense principale et suffisante destinant l’autre aux gémonies ou aux minima des chiffonneries.

 

L’effet essentiel de ces paroles qui soulagent est la création d’un vomitoire qui fluidifie la circulation des pensées et des êtres : passez par ici, pensez par là, le spectacle est fini.

 

Mais à quoi ça sert que Freud, Lacan, la psychanalyse, les psychanalystes se décarcassent ? Personne n’en a assez de faire comme si la psychanalyse n’était qu’une vaste fumisterie, un cautère sur jambe de bois, une supercherie ?

 

Tous ceux qui sont passés par le divan et le bien dire ont eu accès à cette parole qui, elle et elle seule, libère ; la psychanalyse écoute le désir quand, encore inconscient pour celui qui le porte, il sème derrière lui les petits et gros cailloux de ses symptômes, les mystifications et attrape-nigauds, les tromperies, les piperies et les carottes, et peuple le monde d’autres nigauds, benêts et méchants.

 

La psychanalyse est seule sur la piste de ce désir inconscient puisqu’encore pris dans les rets d’un Œdipe présent et fat et indicible, inconcevable, incroyable.

 

La psychanalyse n’attend pas que le psychanalysant ou le patient croit : implacablement elle se saisit du lapsus pour en recueillir tout le suc libérateur. Voilà bien une parole de liberté propre à faire tomber les chaînes imaginaires qui retiennent l’être prisonnier d’un désir d’un temps encore immarcescible qui n’a cure des concordances.

 

Intraitable, la psychanalyse tient serré l’acte manqué, le place sous la lumière crue de son champ opératoire : le désir inconscient de l’être qui tente inlassablement – et avec raison tant le monde est opiniâtre à croire au hasard – de  se raccrocher aux basses branches de l’arbre nommé « pas exprès ».

 

La psychanalyse torrée le fier animal fougueux et puissant et rusé qu’on appelle ignorance ou encore incrédulité avec pour seule arme : « vous l’avez dit ! ».

 

Alors, à quoi ça sert un tel déni d’une telle science qui seule fait face au désir encore, toujours, inconscient ?

 

 

            

Salles obscures : ça brille de mille traits

 

 

 

En guerre : film – tourné comme si on y était, entendez, comme si c’était que du vrai, du documentaire – de Stéphane Brizé, avec Vincent Lindon, Mélanie Rover, Jacques Borderie … Ce film est une leçon sur la parole pleine et la vide ; les politiques et les drh gagneraient à le voir, ils comprendraient ce qui les rend si inaudibles. Mais, je n’ai pas aimé la fin, mais alors pas du tout

 

Everybody knows : film d’Asghar Farhadi, avec Pénélope Cruz, Javier Bardem, Ricardo Darin… Toutes les critiques étaient unanimement sévères mais l’histoire espagnole du réalisateur iranien est formidable. C’est le maître incontestable des liens d’amour et de haine. N’oubliez pas, il est le réalisateur du Client, grand film renversant.

 

Trois visages : film iranien de Jafar Panahi, avec Benhaz Jafari, Jafar Panahi, Marziyeh Rezaei… Trois visages de femmes comme trois visages du cinéma iranien ; ce film donne la sensation d’avoir fait la rencontre de gens en chair et en os et anfractuosités.

 

 

 

Des paroles qui libèrent

 

Extrait de Titre, Ivar Ch’Vavar, Éditions des Vanneaux, Bordeaux, 2011 (que je prélève dans le numéro de Mai 2018 de la Revue Esprit, pp. 142/43 :

 

La mer ulule et glapit ; les amis

         écartent les bras, se cherchent.

                  Ne faut pas que nous disperse

la rafale ; le lieu est par trop fatal,

         dangereux ; minuit claquemuré, creux,

                  s’ouvre et se connexifie. – Avidement

dans l’arène en tourbillon, en folie,

         nous cherchons sous la clameur, les lazzi,

                  gladiateurs titubants, les amis.

Quand même on arrive à trottiner

         les uns vers les autres, on se prend

                  les épaules ; spontanément

on fait cercle, on resserre encore

         le cercle, filles, garçons. Quel ballon

                  va gicler, ovale, de sous

le pack d’Opale ? Nous nous étrei

         gnons (ovation) et avec de grandes claques

                  dans le dos nous congratulons ;

pleurnichant de rire, tout ce fichu poivre

         de plage, aussi, plein les yeux,

                  voilà que retombent nos cheveux

par devant. Ah ! on se sent mieux,

         non ? même avec les sclérotiques

         qui piquent… Bon, on est bien

tous là ?

 

 

Et cet autre-là dans son extrême humilité :

 

Poème de Valérie Rouzeau, Vrouz, Éditions de la Table Ronde, Paris, 2012, p. 71.

 

Mozart il fallait que j’écrive

Un mot pour tester mon crayon

Flambant nouveau allègrement

Et dire un requiem à l’autre

Crayon qui ne crayonnait plus

Et ne pouvait plus se tailler

Ne m’avançait à moi plus rien

Un petit mort dedans ma main

Mauvaise mine il ne traçait plus

Alors je lui ai mis Mozart

Le beau Requiem de Mozart

Pendant que son successeur crisse

Ces quelques traits sur le papier

Commence son exercitation.