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La question du contrôle en psychanalyse

La question du contrôle en psychanalyse

 

Ouarda Ferlicot
À Nanterre, lundi 12 février 2024


Le samedi 3 février 2024 avait lieu une journée de l’École de la Cause Freudienne à la Maison de la Chimie à Paris. La matinée était consacrée au thème : « Le contrôle, une question d’école ».

Le contrôle est un moyen mis en œuvre par les Écoles de psychanalyse pour permettre à un psychanalyste de transmettre à un psychanalyste plus expérimenté ce qu’il sait et comment il le sait et de saisir la responsabilité dans son acte. C’est l’enjeu du contrôle et c’est pourquoi il devrait faire partie intégrante de l’enseignement du psychanalyste.

Pourtant, l’importance de cette question du contrôle dans la formation du psychanalyste contraste avec les quelques travaux qui lui ont été consacrés au regard de son implication régulière dans le débat des mouvements et scissions qui ont traversé l’histoire de la psychanalyse depuis Freud.

C’est en 1919, dans son texte « Faut-il enseigner la psychanalyse à l’université ? » que Freud introduit cette question du contrôle pour le psychanalyste : « Il a la possibilité d’acquérir une expérience pratique, outre le moyen de l’auto-analyse, par le traitement de cas sous la direction et la supervision d’un psychanalyste reconnu. »[1] Ici, le terme "supervision" remplace celui de "contrôle". C’est le terme anglais qui est retenu pour la traduction française.

À l’IPA (Association Internationale de Psychanalyse) il existe un standard de formation : la réalisation de deux supervisions acceptables de traitements psychanalytiques de cures d’adultes est requise ; l’autorisation d’exercer des cures sous supervision par un comité habilité par l’organisation ; le superviseur doit être différent du psychanalyste ; chaque supervision à lieu une fois par semaine et pendant au moins deux ans.

Lacan, non reconnu par l’Internationale, désapprouvera cette organisation standardisée et choisira le terme de contrôle, ce qui le distinguera radicalement de l’IPA, tant dans la manière de concevoir le contrôle du psychanalyste que dans sa relation à l’institution. Ainsi, pour Lacan, comme le rappelle Marie-Hélène Brousse lors de cette journée, il s’agira d’articuler la pratique de la psychanalyse dans l’institution.

En 1953, dans « Fonction et champs de la parole et du langage », Lacan décrit la situation de contrôle comme suit : « […] le contrôlé y joue le rôle de filtre, voire de réfracteur du discours du sujet, et qu’ainsi est présentée toute faite au contrôleur une sténographie dégageant déjà les trois ou quatre registres où il peut lire la partition constituée par ce discours »[2].

Le contrôlé fait entendre les traits saillants de la cure que le contrôleur n’a plus qu’à lire. Cela ne signifie pas qu’il y ait une dissymétrie allant dans le sens du développement d’un savoir de maître à élève, qui implique une relation de pouvoir où l’un domine l’autre. Au contraire, le contrôle implique pour le contrôleur et le contrôlé une position d’altérité où chacun occupe une position différente et enseigne de manière différente. C’est un savoir en construction. Philippe de Georges l’exprime ainsi : « pratique qui permet à un analyste de construire un cas au un par un et d’en élaborer sa propre théorie »[3].

Mais est-ce qu’avec le contrôle, il s’agit uniquement de faire ressortir les traits saillants d’une cure ? Je ne le pense pas. La clinique amène des questions d’ordre clinique qui impliquent le désir du psychanalyste. En cela, le contrôlé ne se contente pas d’être dans une position qui le désengagerait de sa responsabilité, mais au contraire met en œuvre ce qui relève de sa responsabilité et il se doit de le théoriser au cas par cas. Le contrôleur, lui, aide le contrôlé à lire le savoir indéchiffrable ou qui dépasse le savoir déjà là du contrôlé. Le contrôle est le lieu pour que le contrôlé transmette la manière de conduire les cures. Il « vise à faire en sorte que le psychanalyste théorise son style » selon Fernando de Amorim[4], mais, ajoute-t-il, de le préparer à, lui aussi, occuper cette position de superviseur, puis de contrôleur.

Lacan, toujours dans ce texte de 1953, poursuit : « Si le contrôlé pouvait être mis par le contrôleur dans une position subjective différente de celle qu’implique le terme sinistre de contrôle (avantageusement remplacé, mais seulement en langue anglaise, par celui de supervision), le meilleur fruit qu’il tirerait de cet exercice serait d’apprendre à se tenir lui-même dans la position de subjectivité seconde où la situation met d’emblée le contrôleur. »[5]

La situation de contrôle est une position où peut apparaître la subjectivité du contrôlé au travers de ce qu’il reformule de ce qu’il a entendu d’une cure. Cet entendu s’effectue à partir du désir du psychanalyste, qui a aussi à entendre autrement en contrôle ce qu’il a entendu.

Certes, le contrôle n’est pas obligatoire pour Hervé Castanet, mais un psychanalyste peut-il, dès lors, s’en passer ? Le contrôle n’est-il pas le lieu où s’affine et s’affirme le désir du psychanalyste ?

Cependant, le psychanalyste en contrôle rend compte à son contrôleur d’un témoignage d’une pratique clinique au sein de laquelle une théorisation apparaît, mais une théorisation en cours, en train de se faire.

En effet, il a été rappelé lors de cette journée qu’il y a des psychanalystes qui ne sont pas en contrôle et qui exercent la psychanalyse. Comment faire avancer la recherche clinique dans ces conditions ? Comment rendre compte des effets de la psychanalyse et continuer à rendre le discours psychanalytique vivant sans cette pratique critique de sa praxis ? Comment défendre la psychanalyse si le psychanalyste ne soumet pas son ouvrage au principe qu’il défend ?

En 1964, dans l’Acte de fondation[6], Lacan indique que critique de la praxis et contrôle sont des tâches auxquelles doivent se soumettre le psychanalyste. Il situe bien cette pratique du contrôle et de la critique de la praxis dans le champ du devoir. Il ne s’agit pas d’inscrire cela du côté d’un devoir à remplir, mais d’un devoir éthique.

Un autre point qui a été abordé est le choix du psychanalyste, qui doit être libre. S’il est également en position d’être le psychanalyste qui conduit la cure du contrôlé, alors il pourra interpréter un matériel qui appartient à l’histoire du contrôlé et cela afin, d’après Philippe de Georges, « de parer aux risques que l’analyste fasse obstacle à la cure de l’analysant »[7]. Mais il nous semble ici que cette interprétation vise également à éclairer la clinique grâce à cette position tierce que le contrôleur occupe. Cependant, dans le même temps, cela pose la question du risque de l’instauration du contrôleur en position de Maître.

Ce qui pose également question quant au fait d’avoir un contrôleur différent de son psychanalyste et, inversement, du fait de ne pas conduire la cure du contrôlé. Peut-il, le contrôleur, interpréter le matériel inconscient qui appartient au contrôlé ? C’est aussi l’une des questions soulevées par Philippe de Georges.

Ici, il ne me paraît pas que l’enjeu soit d’instituer une règle qui institue que le contrôleur soit celui qui conduise, ou non, la cure, mais bien que le contrôlé soit en mesure de se poser la question et de ce que cela peut amener comme difficultés ou facilités, quel que soit le cadre, pour le contrôlé.

Toujours dans son Acte de fondation, Lacan écrit : « Comment ne pas voir que le contrôle s’impose dès le moment de ces effets, et d’abord pour en protéger celui qui y vient en position de patient. »[8]

Pour Jacques-Alain Miller, le contrôle ne peut être que désiré. Mais est-ce que cela signifie qu’il y aurait des psychanalystes qui ne le désirent pas ? Et, en ce cas, pourrions-nous rapprocher cela de la formule de Lacan : « le psychanalyste a horreur de son acte » 

Enfin, si la pratique du contrôle permet, d’un côté, d’être une pratique qui veille à la bonne conduite de la cure et permet de protéger le patient, elle nous apparaît se rapprocher d’une pratique du Witz, comme l’exprime Lacan en 1962 lorsqu’il met en parallèle son Séminaire comme le prolongement de la pratique du contrôle : « …où c’est ce que vous sauriez qui serait rapporté, et je n’interviendrais que pour donner l’analogue de l’interprétation, à savoir cette addition moyennant quoi quelque chose apparaît, qui donne du sens à ce que vous croyez savoir, et fait apparaître en un éclair ce qu’il est possible de saisir au-delà des limites du savoir »[9].

Cet éclair, je le saisis de ce moment où ce que le contrôleur lit sera réinterprété par le contrôlé à la lumière du désir qui l’anime et du transfert qu’il supporte.

Par le contrôle, un savoir nouveau émerge, s’élabore et se construit. C’est de cela dont le psychanalyste peut rendre compte avec la pratique du contrôle.



[1] Freud, S. (1919). « Faut-il enseigner la psychanalyse à l’université ? », in Œuvres Complètes, Vol. XV, Paris, PUF, p. 111.

[2] Lacan, J. (1953). « Fonction et champ de la parole et du langage », in Écrits II, Paris, Éditions du Seuil, 1999, p. 251.

[3] Propos recueillis à partir de l’intervention de Philippe de Georges lors de cette journée du 3 février 2024.

[4] Amorim (de), F. (2022). « De la psychanalyse didactique et son intime avec le contrôle »

[5] Ibid., p. 251.

[6] Lacan, J. (1964). « Acte de fondation », in Autres Écrits, Paris, Éditions du Seuil, 2001, p. 231.

[7] Ibid.

[8] Lacan, J. (1964). « Acte de fondation », Op. cit, p. 235.

[9] Lacan, J. (1962-63). Le Séminaire, Livre X, L’angoisse, Paris, Éditions du Seuil, 2004, p. 26.