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Dans ces temps turpides… la littérature

Dans ces temps turpides… la littérature

Édith de Amorim
22 octobre 2023


Ne sachant plus à quel saint argument me vouer en présence d’une si féroce isosthénie, j’allai par les chemins, les sentes, les pistes et même les raidillons, rien ne me rebutait, tout plutôt que cette scène d’actualités sanguinaires et imbéciles, tout pourvu que ça m’éloigne de ces grand’ routes informatives et cruelles toujours. Foin des fidéistes revendiqués, revendiquant et fiers.

Ainsi dans mes circuits courts je rencontrai un ami qui m’offrit un livre, petit et grand – comme Little Big Man – livre qui, à son tour, m’offrit de me reposer de tant de stérilité mentale. Le livre porte le titre d’un poème de Charles Baudelaire et porte uniquement sur ce poème : Le voyage, il est illustré par Claire Le Roy (édité par Magellan & Cie)

C’est donc un petit livre qui tient dans la poche, mais par l’air frais qu’il insuffle sitôt que je feuillette, tourne et retourne les quelques pages, l’appétit de joie de vivre me submerge aussitôt découvrant au passage combien j’étais atteinte par la grise mine empuantie des coups de grisou à répétition. Et je suis le poète qui parle de voyageurs : « Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ; D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns, Astrologues noyés dans les yeux d’une femme, La Circé tyrannique aux dangereux parfums. ». À cet instant précis je pense encore aux guerres, aux ennemis, aux tristes. Et je lis et tourne les pages et lis cette autre vérité du poète à propos des vrais voyageurs : « De leur fatalité jamais ils ne s’écartent, (…) Où l’homme, dont jamais l’espérance n’est lasse, Pour trouver le repos court toujours comme un fou ! Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ; ». Non, là c’est trop, Charles, laisse un peu la raison s’approcher de ta coque. Voilà comme ça : « L’imagination qui dresse son orgie Ne trouve qu’un récif aux clartés du matin. » Mais c’est encore Charles qui nous devance en nos temps misérables : « Amer savoir, celui qu’on tire du voyage ! Le monde, monotone et petit, aujourd’hui, Hier, demain, toujours nous fait voir notre image Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui ! »


Il y a des vérités qui ne siéent qu’aux poètes mais l’air frais et cinglant pousse devant mes yeux un autre petit grand livre. Ne dites rien, ne pensez pas à mal, je le sais : je suis chanceuse.

C’est celui de Laurent Gaudé, Le soleil des Scorta (édité par Babel), où je pioche des merveilles à la page 11 : « La chaleur du soleil semblait fendre la terre … » et peu après à la 12 : « La bête s’acquittait de sa tâche avec une volonté sourde qui défiait le jour. Lentement, mètre après mètre, sans avoir la force de presser jamais le pas, l’âne engloutissait les kilomètres. (…) » Je retrouve l’âne, l’humble parmi les puissants et les méchants, qui triomphe toujours et encore.

Mais à la page 32 – qu’elle soit bénie entre toutes les pages que j’ai lues depuis que je sais lire – je trouve ceci : « Je vous remercie de votre curiosité, Don Salvatore. Elle m’aide à ne pas renoncer. » C’est une phrase qui, à mon entendement, nous parle du désir de psychanalyste.


Bonnes lectures, bibliophages.