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Comment devenir psychanalyste à Paris

Sauvons la clinique ! Laquelle ? De qui ?

 

« Protégez-moi de mes amis, de mes ennemis je m’en occupe. » S. Freud

 

Fernando de Amorim

 

Il est toujours beaucoup plus facile de faire le ménage chez l’autre que chez soi, c’est l’histoire bien connue de la poutre et de la paille ! Cette humaine façon d’aliénation n’a pas échappée à l’Autre qui réunit des mots formant ce qu’on appelle un dicton populaire comme par exemple : « Le cordonnier est toujours le plus mal chaussé ».

 

Bien entendu, il faut sauver la clinique. Mais pour cela, il faut se donner les moyens de le faire. La psychanalyse a été éloignée de la formation psychiatrique par les psychiatres et nous en voyons les conséquences désastreuses dans leur pratique d’aujourd’hui. Désastreuses non pas pour le psychiatre prescripteur, celui-ci suit la logique de sa discipline, mais désastreuses pour le patient qui se voit pris dans une lecture strictement biologique de sa maladie. Son histoire, son désir, passent à la trappe !

 

Dorénavant, la psychanalyse est de plus en plus éloignée de la psychologie clinique. Cela m’a toujours amusé, cette articulation entre psychologie et clinique. Vraiment le ciel est pour les innocents ! Ces tentatives d’hybridation, de mariage forcé, ont toujours montré leurs limites, hélas fâcheuses pour les patients. Il faut sauver la clinique, mais laquelle ? Celle de la psychanalyse travestie pour occuper les salles de garde des services de psychiatrie ? Ou celle qui, chassée par la porte, est entrée par la fenêtre de l’université ?

 

Sauvons la clinique en lui donnant le statut qu’elle mérite. De quelle manière ? En invitant les jeunes désireux à devenir psychanalysants.

 

Poussons ces jeunes (la poussée comme un des éléments constituants de la pulsion freudienne) à continuer leur psychanalyse, à étudier l’œuvre de Freud et de Lacan du début jusqu’à la fin, à ne pas se contenter de semblants de séminaires où quelqu’un commente les textes princeps sans que l’auditoire ouvre une seule page des textes de Lacan, par exemple. Je rencontre beaucoup de ces soi-disant psychanalystes qui n’ont jamais fait le retour à Freud, ne sont même jamais passé par Lacan et les autres, mais qui se sont contentés d’avaler les commentaires des commentateurs lors de leurs séminaires. C’est trop léger, selon moi. Pour sauver la clinique, il faut que les jeunes sachent que la formation d’un clinicien se fait sur le divan et non sur les bancs de l’université. On devient psychanalyste parce qu’aucune autre position n’est vi(v)able.

 

Un psychanalyste vit de psychothérapies et de psychanalyses qu’il assure et non du pourboire (petit ou gros) offert par une quelconque institution. Ces mi-analystes, comme les appelaient Freud, ne sont pas encore au rendez-vous avec le désir psychanalytique et c’est regrettable. Loin, très loin de moi l’idée de les décourager à devenir des psychanalystes s’ils sont soutenus par leur clinique. Tout au contraire. C’est avec le désir décidé d’occuper la position de psychanalyste que nous pouvons sauver la clinique, soit celle médico-chirurgicale en général, des assauts des vendeurs de médicaments, soit celle psychiatrique en particulier, en introduisant la cônification du transfert. Le psychanalyste peut sauver la clinique si nous mettons en place la clinique du partenariat, qui existe déjà chez quelques grands cliniciens, d’aujourd’hui et d’hier comme notre regretté Edouard Zarifian.

 

Quelques-uns ont cru pouvoir marier la baleine et l’ours polaire en instituant la psychothérapie d’orientation analytique, d’autres, plus récemment, ont cru qu’on pouvait donner du poids à leur désir juste en collant le signifiant psychanalyse à leur fédération de psychothérapie. Il me semble qu’il s’agit là de la difficulté de faire le tour de leur relation au désir ; une autre façon de dire qu’on n’est pas encore sorti de sa psychanalyse et que peut-être on ne l’a pas même encore commencée !

 

Donc, par lâcheté envers le désir, ils veulent instituer, officialiser leur point d’arrêt, leur stase, en se constituant ainsi mi-analyste (psychiatre-psychanalyste ; psychologue-psychanalyste ; universitaire-psychanalyste, psychothérapeute d’orientation analytique), aux frais de leurs patients.

 

La clinique existe parce que le malade, le patient, le psychanalysant existent. Et ce sont eux, dans la position de psychanalysant et de sujet qui peuvent, non pas la sauver mais la maintenir en vie. Nous, nous devons appuyer, irriguer, nourrir le transfert pour que l’être (dans la position de malade, de patient et surtout de psychanalysant) puisse accéder à la position de sujet et ainsi, en toute légitimité, sauver la clinique. Alors, comment peut-on parler de sauver la clinique en tant que psychanalyste si on délaisse la clinique pour aller s’occuper de choses étrangères aux affaires de la clinique telles la psychiatrie, la psychologie, l’université, la télévision ? Je ne dis pas que nous ne devons pas travailler en partenariat avec ses collègues, ou qu’on ne puisse pas s’amuser avec les paillettes. Je dis simplement que quand on veut aller et à droite et à gauche on ne va nulle part et cela au détriment du patient qui paye.

 

Investissons dans la clinique et, à ce moment-là, nous aurons l’autorité toute naturelle de signaler à l’Etat l’état de délabrement de nos hôpitaux, le manque de formation clinique de nos étudiants et la misère psychique de notre population. Les jeunes doivent être formés véritablement à la clinique, et cela doit commencer au plus tôt. Par exemple, au sein du RPH, les étudiants sont stimulés à rencontrer des patients dès qu’ils se sentent prêt. Il faut dire que ce désir s’éveille et se nourrit dans leur psychanalyse personnelle. Il faut dire aussi qu’ils reçoivent des patients seuls mais qu’ils ont un superviseur à leur disposition et que ce dernier assure une séance de supervision par semaine et est disponible en cas d’urgence. Il est très beau de voir des jeunes gens prendre goût pour la clinique. Sauver la clinique cela signifie investir dans la jeunesse, dans la jeunesse du désir. Lacan, la soixantaine largement dépassée, montait les escaliers deux par deux pour aller vers le désir. Apprenons donc avec la jeunesse.

 

La mollesse des psychanalystes à prendre les idées de Freud sur le désir inconscient a ouvert les portes à toute sorte de symptômes dont ils n’ont de cesse de se plaindre : la montée des thérapies comportementales, la perte de leur place à l’université, à l’hôpital (où d’ailleurs ils ne sont jamais entrés véritablement). Depuis toujours les médecins sont sans réponse face à la clinique du quotidien (de la souffrance dans l’organisme mélangée aux difficultés sociales, économiques et aux souffrances psychiques). Freud avait apporté une lecture nouvelle à la question de la détresse humaine mais ses héritiers, à savoir, les psychanalystes, sont les premiers à la détourner par des mesures de compromis, dans un arrangement tout à fait déplacé et éloigné des enjeux du désir. Nous ne pouvons parler de clinique que lorsque nous sommes confrontés à la souffrance de l’autre et que nous pouvons lui proposer des moyens de réponse (des moyens de réponse différents selon que nous sommes dans la position transférentielle de psychothérapeute -médecin, psychiste- ou dans la position transférentielle de psychanalyste).

 

Nous avons besoin des psychistes et des psychanalystes. Mais où sont-ils ? Ils sont travestis en psychiatres ou en psychologues. Ils se disent « psychanalystes junguiens ». Plus récemment, j’ai appris l’existence d’un « psychanalyste ferenczien ». Et il faudrait s’étonner que les autorités politiques et sanitaires se mêlent de nos affaires ?! Ils font leur travail et nous, nous ne faisons pas le nôtre. Il est essentiel que nous nous mettions une autre fois sur les rails. Et les rails du psychanalyste ce sont le « Retour à Freud », ce qui pourrait même être la devise de la cause psychanalytique.

 

Ma proposition est celle de la subjectivité, du cas par cas, du partenariat où les médecins confrontés avec les patients qui souffrent de troubles du sommeil puissent compter avec le psychanalyste et qu’ensemble (médecin, patient et psychanalyste) ils puissent discuter de la thérapeutique possible, viable, vivable. Peut-être cette clinique est-elle un peu plus difficile et même plus délicate à être mise en place, mais elle honore le médecin dans ses efforts et le psychanalyste dans son acte. La position du médecin aujourd’hui a été transformée en celle de prescripteur muet. Le clinicien disparaît au détriment de la médecine basée sur les preuves du silence du malade. Une autre fois encore le désir inconscient est exclu de la relation médecin-malade.

 

Comme l’introduire ? En installant la clinique du partenariat, en installant la cônification du transfert. Les psychanalystes sont très attachés à la clinique basée sur les preuves eux aussi. Mais pour donner la preuve de leur acte, il est essentiel que le malade et le patient soient dans la position de psychanalysant, voire de sujet. A ce moment nous allons véritablement faire un balayage de fond dans la clinique. Pour l’instant nous avons la psychanalyse mais pas assez de psychanalystes. Ce n’est pas dramatique ; c’est simplement que c’est comme ça. Pour améliorer la situation, je pense qu’il faut investir dans la clinique, dans la clinique psychanalytique, la vraie, celle qui naît sur le divan ou, dans le meilleur des cas, celle qui est pratiquée par un psychanalyste, véritablement psychanalyste, c’est-à-dire, quelqu’un qui n’a jamais quitté la position de psychanalysant. Alors, sauvons la clinique ?