Fernando de Amorim
Paris, le 28 avril 2025
Le Moi n’est pas seulement aliéné par structure, il est obtus par intérêt. Intérêt de dominer.
J’arrive à ma consultation et une jeune personne attend à l’entrée :
« Avez-vous sonné ? », lui demandé-je.
« Non, j’étais en train de lire mes notes », répond-elle.
Je lui dis : « Vous lisez vos notes avant la supervision ? »
Mon intention était d’attirer son attention sur le fait que, en préparant la supervision, la jeune clinicienne n’apprend pas sur la clinique, car elle n’apprend pas sur son Moi, ce qui l’empêche de construire son désir, son style, sa destinée.
La clinique psychanalytique exige que le clinicien, son corps, son désir, ses pensées soient de la partie. Un chirurgien peut être excellent dans le maniement de sa technique et, à la maison, être odieux avec la domestique, négligeant avec ses enfants, impuissant avec sa dame. Cela n’intéresse pas le patient, car ce que ce dernier attend de lui, c’est qu’il opère avec ses doigts habiles et non avec ses oreilles.
En devenant sujet, en occupant la position de psychanalyste, le clinicien a perdu le droit à ce que son Moi soit maître dans son exercice clinique.
Quelques Moi malheureux se plaignent que je raconte ce qu’ils disent sur le divan en public et que je demande de payer les supervisions manquées. Qu’ils se rassurent : je continuerai à le faire. Sans une once d’hésitation.
Évidemment que je ne raconte pas ce que Bénédicte a dit sur le divan. Je raconte, sans la nommer, son orgueil. Car évoquer le trou de sa culotte provoque chez le Moi une blessure narcissique qui l’irrite. Le psy se prend pour quelqu’un d’exceptionnel, de supérieur. En racontant le trou dans sa culotte en public, je le fais descendre de son piédestal. Il n’est pas content du tout. Ce qui le pousse à faire du commérage – dans commérage, il y a rage – et à salir mon nom en place publique.
La jeune clinicienne continue, histoire de se justifier : « C’est vrai, je lisais mes notes pour la séance… pour la supervision. »
C’est cette hésitation entre séance et supervision qui justifie cette brève.
Le Moi veut contrôler. Il contrôle pour dominer, pour ne pas se dégonfler. Ainsi, une règle implicite était établie entre le soi-disant superviseur et un jeune qui commence son exercice clinique. Le premier semble sous-entendre : « Apportez votre difficulté en supervision ou en contrôle. Ce qui est de l’implication de votre résistance dans le champ opératoire clinique ne doit pas vous intéresser parce que cela ne m’intéresse pas ! »
Je m’inscris en faux dans ce contrat trompeur : le corps du clinicien, son hygiène personnelle, la propreté de ses chaussures, ses odeurs corporelles et son excès de parfum, sa manière de parler entrent en ligne de compte quand j’assure une supervision ou un contrôle. De là l’odeur de séance psychothérapeutique ou psychanalytique qui irrite tant le Moi prétentieux quand je le travaille au corps.
Donc oui, il s’agit d’une séance : pas d’une séance de psychothérapie ou de psychanalyse, mais d’une séance de supervision ou de contrôle où le désir du clinicien sera examiné minutieusement, car le clinicien dans la position de superviseur ou de contrôleur – l’auteur de ces lignes en l’occurrence – ne se laisse pas intimider par l’injonction du Moi fort, qui semble demander : « Occupez-vous de me transmettre des indications pour renforcer mon Moi afin que je puisse mieux contrôler le Moi du patient qui est sous mon pouvoir. Fermez les yeux pour le reste ! » Le reste ici, c’est la position d’objet que doit occuper le clinicien.
Il va de soi que je n’accepterai pas une telle manigance.
Ce contrat tacite d’aliénation exigé par le Moi de la jeune clinicienne est la preuve même qu’elle n’a pas saisi comment j’opère.
Si une cure a des problèmes, mon premier geste est d’examiner où se situe le Moi du clinicien dans l’opération clinique. La plupart du temps, le Moi domine la situation clinique, à son avantage, bien évidemment. Aux dépens de l’être qui souffre.
En secouant le Moi du jeune clinicien, je vise à le pousser à perdre : perdre son gonflement, perdre son arrogance, perdre sa cupidité de se penser maître.
Le Moi est obtus du fait de l’intérêt qui est le sien d’être maître dans la relation psychothérapeutique. Il veut dominer aussi la relation avec le clinicien dans la position de superviseur ou de contrôleur. Quand il constate que cela ne sera pas possible, normalement le Moi abandonne. En décidant d’occuper la position de maître, l’esprit psychanalytique disparaît de la séance de psychanalyse, de la salle d’attente, des toilettes du clinicien devenu, inévitablement, analyste, voire psy.
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