De la tristesse à la conduite de sa vie

 

 

 

Fernando de Amorim
Paris, 25 avril 2022
 

 

Quelqu’un à qui j’essaye de transmettre la praxis psychanalytique me raconte qu’il se dirigeait vers son travail ce matin tout en écoutant la radio dans son casque.
 
Subitement, un camion-poubelle s’arrête et il entend un : « Monsieur Y ! », « Monsieur Y ! ».
 
Il enlève son casque et le chauffeur de camion, crie encore : « Monsieur Y., vous vous souvenez de moi ? ».
 
Il me dira qu’il ne se souvenait plus de son nom, mais fort bien de l’homme et de sa tristesse qui nimbait son regard pendant les consultations.
 
- Oui, je me souviens de vous. Comment-allez-vous ?
- Je vais très bien.
 
Et il est reparti dans son camion emportant nos poubelles.
 
D’ordinaire, le clinicien, comme n’importe quel clinicien, se demande toujours s’il a bien fait, s’il n’a pas oublié un détail dans la conduite de la séance, dans la conduite de la cure, dans …
 
Et aujourd’hui, toujours pris par ces interrogations, parfois par les doutes, mais jamais par les certitudes, le clinicien s’entend me dire à propos de la conduite de la cure de ce monsieur : « Je ne fais pas toujours de la merde ! ».
 
Cette attestation de compétence délivrée par ce conducteur de camion-benne n’est pas sanctionnée par un quelconque titre, une savante institution ou encore un maître. Elle est validée par celui qui était triste et qui aujourd’hui conduit nos merdes vers leur destinée.
 
Lacan disait que l’homme ne sait que faire de ses déchets. Et où ça sent la merde, il y a de l’être. Il y en a qui ont comme métier de les éconduire. Nous ne les reconnaissons que lorsqu’ils font grève. Pour ma part, je me fais un devoir de leur dire bonjour et de leur souhaiter une bonne journée. Ma manière de les remercier d’être là.
 
Personne ne sait qui est ce Monsieur Y. Seul l’intéressé le sait. Et maintenant avec le sourire.