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Qu’est-ce que l’existence ?

Docteur Lucille Mihoubi
Le 14 juillet 2025

L’idée de cette brève émerge alors que j’écoute la rediffusion sur France Culture de l’émission Le Pourquoi du comment ? de Frédéric Worms. Ce dernier pose la question suivante : qu’est-ce que l’existence ? Il propose d’y répondre, à partir de ses connaissances et références philosophiques, au cours de quatre épisodes1.

Comment ne pas tendre sérieusement l’oreille quand, dans le même temps, j’assiste à l’élaboration théorique du psychanalyste Fernando de Amorim ? L’existence est un concept qui apparaît, au fil de son enseignement, au cœur de la formation du psychanalyste.

Mettons donc en tension le discours de Worms et celui d’Amorim, soit le discours philosophique et le discours psychanalytique, et voyons où cela nous mène.

Worms présente l’existentialisme, courant philosophique apparu au milieu du XXe siècle, dont les précurseurs sont Søren Kierkegaard (1813-1855), philosophe danois, et Friedrich Nietzsche (1844-1900), philosophe allemand, et qui a été développé par Jean‑Paul Sartre (1905-1980), philosophe français. Worms explique : « L’existence, ce n’est pas seulement un mystère en quelque sorte objectif. C’est d’abord un étonnement subjectif. C’est le fait qu’un être humain se demande pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien, pourquoi quelque chose existe plutôt que rien. »2 L’existence ne désigne pas « le fait réel d’exister », mais une expérience, propre à la condition humaine, dans laquelle s’exprime la subjectivité de l’être3.

Worms poursuit en remarquant que, dans le langage courant, existence et vie ne sont pas distingués. L’existentiel, « c’est ce sans quoi je ne pourrais pas vivre, ce sans quoi je n’accepterais pas de vivre »4. D’après Worms, le fait de boire et de manger, aux côtés de la reconnaissance de sa subjectivité par autrui, ou encore le fait d’être capable d’agir, de créer, d’aimer, relèvent de l’existence. C’est à partir de là que nous repérons un glissement qui se confirme dans la phrase suivante : « Dans tous ces cas, l’existentiel, c’est quelque chose de vital, littéralement, si le vital c’est aussi ce dont nous avons besoin pour ne pas mourir. Et ainsi, d’une certaine manière, l’existentiel et le vital semblent parfaitement synonymes. »5

Si Worms affirme cette théorie, il cherche néanmoins à trouver des points d’appui pour distinguer vie et existence. Il propose alors que la vie soit du côté du besoin objectif, tandis que l’existence serait « ce qui est vital pour le sujet […] l’expression subjective du besoin objectif »6. Pour autant, malgré l’importance qu’il accorde à la subjectivité dans le concept d’existence, il conclut, dans l’épisode suivant, que l’être humain étant dans une relation d’interdépendance, l’existence passe, inévitablement, par autrui7. Nous verrons plus loin que, pour Amorim, l’existence passe, inévitablement, par l’Autre barré.

Donc, pour Worms, vie et existence s’entremêlent, en même temps que subjectivité et nécessité d’en passer par autrui pour exister – de la dépendance vitale du nourrisson à la reconnaissance de sa liberté par autrui – se confondent.

Dans son séminaire intitulé Du vivant à l’existant8, Amorim propose une distinction radicale entre vie et existence. En effet, le psychanalyste situe la vie du côté de la condition biologique, physiologique de l’être. Donc, le fait de boire et de manger, pour reprendre les exemples de Worms, relève de la vie, et non de l’existence. La vie concerne tout être à partir du moment où celui-ci respire et évolue dans un environnement. Dans la hiérarchisation des positions de l’être proposée par le psychanalyste, l’être qui vit se trouve entre l’être qui vivote9 et l’être qui parle10. La vie désigne ainsi le fait d’être en vie et de maintenir cette vie.

Si l’existence, comme le propose Worms, convoque bien, d’après Amorim, la subjectivité de l’être, elle n’en désigne pas moins, pour le psychanalyste, une position bien particulière et qui ne pourra être construite que par un nombre infime. Un nombre infime car elle demande un engagement rigoureux avec le grand Autre barré, avec la castration. Amorim écrit :

« […] il n’est pas suffisant d’être humain ou d’être parlant pour exister. Pour exister, l’être doit d’abord prendre soin de lui-même, de son corps, de l’autre, de son environnement. […] l’être doit être castré du désir de l’Autre non barré, s’engager à construire son propre désir à partir de l’Autre barré, dégonfler son imaginaire, castrer son Moi »11.

L’être existe lorsqu’il sort de psychanalyse – devenant ainsi sujet – et qu’il occupe la position de psychanalyste (sujet barré). L’existence, loin de se confondre avec la vie, est, chez Amorim, « une construction quotidienne »12 qui durera toute la vie clinique du psychanalyste ; construction s’opérant au moyen de la Durcharbeitung et de la cure sans fin du psychanalyste.

L’existence est une position subjective mais cette position ne produit pas un étonnement – εὕρηκα d’Archimède. Le sujet, dans la position de psychanalyste, n’est plus étonné. Amorim pense même que plus rien ne l’étonne parce qu’il s’appuie sur le rien. Il ne se demande plus, il se répond.


  1. Worms, F. Le pourquoi du comment ? Qu’est-ce que l’existence ? France Culture, septembre 2024, quatre épisodes. ↩︎
  2. Worms, F. Le pourquoi du comment ? Qu’est-ce que l’existence ? Épisode 1 : comment définir l’existence ? France Culture, 9 septembre 2024, 00:50-01:04. ↩︎
  3. Ibid., 01:52-1:59. ↩︎
  4. Worms, F. Le pourquoi du comment ? Qu’est-ce que l’existence ? Épisode 2 : pourquoi devrait-on distinguer l’existence et la vie ? France Culture, 10 septembre 2024, 00:30-00:35. ↩︎
  5. Ibid., 01:10-01:18. ↩︎
  6. Ibid., 02:28-02:39. ↩︎
  7. Worms, F. Le pourquoi du comment ? Qu’est-ce que l’existence ? Épisode 3 : pourquoi l’existence passe-t-elle par les autres ? France Culture, 10 septembre 2024. ↩︎
  8. Amorim (de), F. Du vivant à l’existant, Paris, RPH Éditions, à paraître. ↩︎
  9. « […] le fait de vivoter est identifié chez ces êtres qui ne s’engagent pas davantage à parvenir à une autonomie et qui attendent de l’autre sa subsistance ou qui en font le strict minimum », in Ibid. ↩︎
  10. « […] résultat de l’acceptation de l’être de plonger et nager dans l’Autre barré », in Ibid. ↩︎
  11. Ibid. ↩︎
  12. Ibid. ↩︎

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