Fernando de Amorim
Paris, le 13 mai 2025
Une jeune clinicienne du RPH – École de psychanalyse avait envoyé une invitation à une praticienne de la psychanalyse pour que cette dernière vienne examiner avec les membres cliniciens de l’École s’il a eu ou non sortie de psychanalyse, lors d’une passe externe. La présence de quelqu’un qui se dit analyste et qui est extérieur au RPH est importante pour éviter l’effet de copinage au moment de l’examen.
Sa réponse m’a poussé à écrire cette brève.
Lacan, après avoir constaté ce que ses élèves avaient fait de son expérience de la passe, arriva à la conclusion qu’elle était un échec. Je ne suis pas d’accord avec lui. L’idée est bonne, mais il fallait l’affiner, lui trouver une autre taille. C’est ce que j’essaye de faire, tout en voulant construire un corpus psychanalyticus. Ce corpus exige que les acteurs s’engagent à respecter la méthode et les techniques psychanalytiques, à conduire une psychothérapie avec psychanalyste ainsi qu’une psychanalyse d’une manière cohérente et non selon l’orientation d’un tel ou d’une telle. Je ne pense pas qu’il existe une psychanalyse d’orientation kleinienne ou lacanienne. Il existe la psychanalyse, mise sur pied par Sigmund Freud et portée par Jacques Lacan. Les autres acteurs – Bion, Winnicott et d’autres – ont apporté des arguments, des preuves, des propositions pour la construction de la psychanalyse. Ils n’ont pas construit une nouvelle psychanalyse.
Un clinicien, un scientifique, ne se contente pas des échecs, il essaye autrement. Contrairement à Lacan et à ses élèves, je n’ai pas abandonné ma psychanalyse et, grâce à mon insistance – insistance consistant à continuer ladite psychanalyse après ma première sortie de psychanalyse, passe à l’appui – je me suis dit que je voulais continuer pour voir où cela m’amènerait.
La sortie d’une psychanalyse – et non « la fin d’une cure », comme le pense une dame – a tout à voir avec la passe. Pas la passe version Lacan, puisqu’elle a été un échec, mais celle que j’ai mise en place en profitant du dispositif lacanien, cela va de soi.
Avant de poursuivre, une remarque : lorsque quelqu’un écrit « cure », de quelle cure s’agit-il ? Cure psychothérapeutique, cure psychanalytique, cure de jouvence ? À titre d’information, je tiens à dire que l’absence de curiosité signe le début de la mort de l’esprit. Répéter Lacan (« Lacan a dit ceci ») ou sa passe (« l’analysant devient analyste ») est l’indicateur d’une criante incompétence à penser. Rien à voir avec le docteur Lacan.
Les analystes pensent que parler lacanien est l’unique manière de faire usage du signifiant. Ils se trompent et, dans cette logique, ils jettent la psychanalyse avec l’eau du bain.
Mon idée de psychanalyse sans fin vient de Freud. Il a invité, vers la fin de son enseignement et de sa vie, ses élèves analystes à être moins arrogants, moins portés par leur Moi, et à venir tous les cinq ans sur le divan. Las. Ils se sont sentis trop sains d’esprit pour se plier à cet exercice d’humilité. Aucun n’a accepté sérieusement l’insolente invitation.
Je le répète : le dispositif de Lacan – et non « invention », comme l’écrit la dame – a été un échec. Grâce au psychanalysant que je suis, j’ai non pas inventé mais construit une passe à partir de l’échec de Lacan. C’est un dispositif précis et une expérience précieuse, pour reprendre les mots de la dame en référence à la passe version Jacques Lacan.
Quelques analystes à qui mes élèves proposent de venir vérifier l’utilisation que fait le RPH de la passe se comportent de manière supérieure, docte, professorale. Toujours au nom de Lacan. Ils ne discutent pas à partir de leur clinique, ils invoquent Lacan pour dire que ma proposition est sans intérêt, indigne même de mériter une réponse. Une lacanienne m’avait répondu un jour : « Une non-réponse, c’est une réponse. » Non, c’est du mépris. Il me semble important d’au moins assumer cela. Assumer exige courage.
Après Lacan, qui a nourri la psychanalyse ? L’auteur de ces lignes, Fernando de Amorim.
Ma logique est simple : je nourris la vache qui m’a nourri quand j’étais dans une détresse sans nom. Les analystes, eux, apportent leur Moi et des répétitions de ce qui a été dit par Freud et Lacan. Envieux, ils dézinguent ceux qui apportent une contribution nouvelle à la psychanalyse, à savoir les cliniciens du RPH qui se donnent la peine d’inviter celles et ceux que j’appelle « nos aînés » pour nous instruire, pour nous enseigner. Las, là encore. Ils viennent avec une arrogance crasse et humilient un travail, un effort, une recherche que j’ai mis debout dès 2013.
J’explique maintenant ma passe :
Quand le clinicien témoigne d’une sortie de psychanalyse, il est dans la position de supposé-psychanalyste de cette cure (cf. Cartographie du RPH). Il n’y a pas d’analyste au RPH ; l’analyste est celui qui, inévitablement, retourne d’où il vient, à savoir l’embouchure (cf. Carte des trois structures).
Quand c’est le psychanalysant qui témoigne, il devient sujet et le supposé-psychanalyste devient psychanalyste de la psychanalyse en question. L’expression en italique vise à indiquer que si le psychanalyste est devenu responsable de la transmission de la psychanalyse au RPH, responsable d’une éthique dans son quotidien, il est aussi reconnu comme psychanalyste dans la Cité.
Ainsi, en sortant de sa psychanalyse, en témoignant par la passe de sa construction, le psychanalysant ne devient pas psychanalyste, il devient sujet. C’est ici que je situe l’erreur dans la logique de Lacan et la pauvreté critique de ses élèves à répéter sans réfléchir les dires du maître. De là le titre de cette brève.
Le clinicien devient psychanalyste lorsqu’il témoigne, auprès de ses pairs de l’École et des invités (passe externe du RPH), qu’il a assuré effectivement la sortie de psychanalyse du psychanalysant, avec ce que j’avais nommé « examen de sortie de psychanalyse ». Cet examen est réalisé par le clinicien avec le psychanalysant. La passe est l’indicateur qu’il y a eu sortie de psychanalyse pour le psychanalysant, ce qui, je le répète, propulse le clinicien de la position de supposé-psychanalyste à celle de psychanalyste. Ce dernier a le droit d’utiliser socialement le titre de psychanalyste, mais pour l’École il est uniquement psychanalyste de ladite psychanalyse, histoire de ne pas laisser son Moi reprendre ses droits, puisqu’il est de sa nature de se gonfler.
Si l’expérience de Lacan était un échec, la passe lacanienne n’a pas de valeur. La mienne, si. Jusqu’à ce que la preuve scientifique, clinique, du contraire soit faite.
Affirmer, comme l’a fait, toujours, la dame, que « ce n’est en aucun cas le “clinicien” (l’analyste ?) qui témoigne du travail qui a eu lieu » est un discours fort éloigné de toute expérience clinique et scientifique : c’est prendre les dires de Lacan pour parole d’évangile.
Dans mon expérience de la passe, après avoir lu Lacan, j’ai commencé à faire une expérience dans ma clinique, seul. Puis j’ai communiqué les premiers résultats à Jean‑Baptiste Legouis. Puis j’ai élargi aux membres du RPH. Maintenant, j’informe les analystes des autres écoles.
Il est vrai que « le titre de psychanalyste n’est pas réglementé en France, ces instituts dits “freudiens” s’installent dans un no man’s land », comme l’écrit Élisabeth Roudinesco[1]. Freud ne voulait pas que la psychanalyse devienne une branche de la médecine. Il avait raison. Il la voulait science. Je partage son ambition, mais il lui est difficile d’accéder à ce statut quand elle est utilisée pour séduire des jeunes esprits ou pour gagner du pognon (cf. l’article du Monde). Je gagne de l’argent avec la psychanalyse parce que je suis psychanalyste et non avec la séduction, au nom de la psychanalyse. Lacan avait raison : il y a de l’escroquerie. Mais elle est du côté de l’analyste et non de la psychanalyse. Il me semble urgent que les analystes se ressaisissent. L’unique manière pour ce faire est de retourner sur le divan. Je défends l’idée que la psychanalyse du psychanalyste est sans fin, histoire d’éviter que ça déconne, que ça couche avec n’importe qui, que ça mange à n’importe quel râtelier, tout en s’autocongratulant : « je suis psychanalyste », « je suis professeur », je suis « moi-même passeur puis passante, nommée AE de l’ECF et ayant travaillé dans un cartel de la passe, je ne saurai participer à une telle réunion [la passe externe du RPH], qui me semble d’avantage s’apparenter à une séance collective de contrôle (pourquoi pas ?) qu’à un dispositif lacanien de “passe”, n’en ayant de fait aucune des caractéristiques. ». En d’autres termes, la dame n’a aucune curiosité.
Eh bien, j’affirme que quand la curiosité n’est plus là, si jamais elle y a été un jour, c’est parce que la mort déjà s’approche.
[1] « Un couteux mirage pour aspirants psychologues – Le diplôme de la Sigmund Freud University, filiale d’une école privée autrichienne, n’est pas reconnu par l’État », Le Monde du 7 mai 2025, p. 16.