Sara Dangréaux
Paris, le 19 novembre 2025
Écrire une brève concernant l’amendement discuté au Sénat ? Je me vois alors commencer mon écrit par la naissance de la psychanalyse. Du désir d’un homme, Sigmund Freud, et des chemins de traverse pris par certains. Je pense en tout premier lieu à Carl Jung, qui a initié la psychologie analytique – Analytische Psychologie. Parfois nommée aussi « psychanalyse jungienne » alors qu’elle n’est pas psychanalyse car le chemin est dévoyé par le raccourci. Je me demande alors quel lien avec l’invitation initiale d’écrire une brève concernant l’actualité d’un amendement pour que : « À compter du 1er janvier 2026, les soins, actes et prestations se réclamant de la psychanalyse ou reposant sur des fondements théoriques psychanalytiques ne donnent plus lieu à remboursement, ni à participation financière de l’assurance maladie. »
Lorsque j’ai pris connaissance de cet amendement en étant invitée à signer une pétition contre, j’avoue ne pas avoir pensé aux professionnels travaillant avec pour référentiel théorique la psychanalyse, ni même à l’université alors que c’est par cette voie que j’ai découvert cet amendement. La première pensée qui m’est venue, c’est que la psychanalyse n’est pas compatible avec le remboursement.
Je pense à une étudiante, majeure, qui vit chez ses parents. Elle peut régler mes honoraires avec l’argent de ses parents, puisqu’elle vit chez eux et qu’ils sont d’accord, mais elle fait du baby‑sitting afin de pouvoir avoir de l’argent pour elle‑même. Je lui propose alors qu’elle puisse régler avec son argent pour sa cure. Elle dit qu’elle aimerait mieux pouvoir payer elle‑même, plutôt que de devoir demander à ses parents, mais que ce sera moins que la somme que ses parents peuvent régler. Je lui indique qu’elle peut régler la somme possible pour elle et elle s’en saisit. Depuis, elle s’est organisée pour augmenter ses heures de baby‑sitting, sans négliger ses études, afin de pouvoir régler davantage. Je lui ai donc proposé de faire une séance de plus par semaine et la cure se poursuit. C’est cela le précieux de la psychanalyse : de pouvoir assumer pour soi-même et par soi‑même en s’engageant à construire sa position subjective.
C’est le dispositif clinique mis en place par Fernando de Amorim, psychanalyste, sous le nom de Consultation Publique de Psychanalyse (CPP). Ce dispositif fonctionne en tirant tout le monde vers le haut et sans subvention. Le patient ou psychanalysant rencontre un clinicien et règle décemment pour lui-même, selon ses moyens. Il est décent de permettre à un être d’assumer sa responsabilité vis-à-vis de lui-même. Comment assumer ses responsabilités envers autrui si ce n’est en commençant par soi‑même ? Le clinicien, lui, gagne son argent par le fruit de son travail et en continuant d’apprendre chaque jour. Tout le monde en sort grandi et sans dette. Les arrangements psychanalytiques, financiers ou autres, ne peuvent pas être sans conséquences, même s’ils sont envisagés pour le mieux.
Avec cet amendement, si j’ai pensé au paradoxe de parler de psychanalyse et de remboursement, c’est parce que j’ai eu cette liberté de ne pas m’inquiéter de l’amendement. Cette liberté est assurément liée au fait que je suis autonome financièrement, puisque je gagne mon argent avec mon travail de clinicienne. Être tributaire d’autrui soumet à son bon vouloir et l’argent est un motif puissant d’aliénation.
« En recentrant la dépense d’assurance maladie sur les soins ayant un bénéfice médical avéré, il s’agit de favoriser la diffusion de pratiques thérapeutiques recommandées par la Haute Autorité de santé, notamment les approches comportementales, éducatives et de réhabilitation psychosociale. » La psychanalyse est une clinique du sujet qui réitère chaque jour les preuves de son efficacité mais il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Contrairement à celle‑ci, les techniques comportementales, les techniques éducatives ou de réhabilitation psychosociale s’adressent au Moi. Mais il est audible que le Moi, en tant qu’instance d’aliénation, ne veuille pas de la psychanalyse et pourtant elle tourne1 !
- Galilée, 1633 : « Eppur si muove! » ↩︎