Ranida Bonamy
Saint-Maur-des-Fossés, le 17 octobre 2025
Madame D. a 30 ans. Elle a longtemps souffert des affres de l’anorexie. Aujourd’hui, son poids est normal et l’injonction de ses organisations intramoïques1 à perdre toujours plus de kilos semble s’apaiser. Dans ses séances, elle se remémore les critiques mal placées d’un camarade ou d’une amie sur son corps. C’est, par exemple : « Tu as de grosses cuisses » ou « Tu es grosse ». Avant sa descente aux enfers, avec 20 kg perdus en quelques mois, madame D. n’était pas en surpoids, mais personne n’était là pour le lui dire. Le rôle de l’adulte dont dépend l’épanouissement d’un enfant est d’aider ce dernier dans son bon développement, de lui donner les bons repères et en adoptant la bonne distance, ni trop près ni trop loin.
Adolescente, madame D. n’a rencontré personne pour lui dire ce que c’est d’être une femme. Ses parents se sont séparés très tôt dans son enfance. Elle a vécu dans deux foyers monoparentaux et décrit sa mère comme ayant renoncé à toute féminité. Cette dernière, empêtrée dans ses propres difficultés et identifications, ne pouvait guider sa fille sur la voie du féminin.
J’évoque dans cette première partie le rôle de la mère dans la construction d’une position féminine, mais le père y joue également un rôle important. Françoise Dolto dit ceci :
« Le rôle du valorisé implicite ou explicite dans les initiatives verbales, sensorielles, actives et passives, le rôle de ce qui est permis par une mère phallique, symbole de tout pouvoir et de tout savoir, et par le père, symbole, lui, de toute autorité, est absolument capital pour l’avenir de la sexualité et de la personnalité de la future femme. Si l’enfant est éduquée par une femme qui n’est pas frigide, qui est maternelle et satisfaite sexuellement par un homme au comportement paternel avec l’enfant, alors tout est en place pour la constitution chez la fillette d’un comportement féminin puissant et d’un comportement sexuel futur non frigide. »2
Un comportement paternel peut se traduire par un positionnement et un regard juste sur son enfant. L’anorexie, par les symptômes présents, brouille les places et invoque les parents là où ils ne doivent pas être, à savoir très près du corps de l’adolescent ou de l’adolescente, à un moment où s’opère beaucoup de changements physiologiques et psychiques.
Madame D. déplore les commentaires insistants de son père sur son corps changeant de jeune femme, ainsi que sur sa maigreur crainte, traquée, épiée. Elle avait alors décidé de s’habiller avec des vêtements larges pour éloigner ce regard intrusif. Cette présence, loin d’aider à remonter la pente, accentuait la chute. Lorsqu’un ou une pubère refuse de manger, le Moi des parents et soignants force, gave et s’organise pour l’infantiliser. Elle dit : « Ils ont forcé, mais ce n’est que quand j’ai décidé de guérir que j’ai repris du poids ».
Ce qui n’est pas réglé du côté des parents et des soignants vient perturber la trajectoire d’un développement normal vers le devenir féminin ou masculin. Du féminin à l’ouvrage3 est un livre écrit par un collectif d’auteures psychanalystes et psychothérapeutes. Ce sont des femmes qui ont l’expérience de l’écoute clinique, mais aussi de leur propre cure, de leur intime féminin. Elles reçoivent hommes et femmes et nous disent dans ce livre, fruit d’un travail de recherche, entre autres, ce qu’est ce féminin qui concerne hommes et femmes, ce qu’est devenir femme, et la différence entre féminin et féminité.
- Amorim (de), F. (Dir). Manuel clinique de psychanalyse, Paris, RPH-Éditions, 2023, p 256. ↩︎
- Dolto, F. (1988). Libido féminine, Paris, Édition Presses, 1989, p. 74. ↩︎
- Blachère, C., Dangréaux, S., Ferlicot, O., Mihoubi, L. Rakotoasitera, L.-L., Simmou, J. & Vitteaut, S. Du féminin à l’ouvrage, Paris, RPH Éditions, 2025. ↩︎