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De l’assurance maladie à l’assurance de la maladie : des effets de la corruption dans le champ de la santé

Julien Faugeras
Paris, le 9 décembre 2025

Pourquoi l’assurance maladie ne s’appelle-t-elle pas l’assurance santé ?

Si cette question peut sembler anecdotique, elle prend toute son importance quand nous constatons que l’assurance maladie favorise la maladie aux dépens de la santé1. Ceci se traduit par une forte progression des maladies chroniques, par une augmentation colossale des dépenses de santé publique et par une diminution, tout aussi significative, de la qualité du service public. Et dans la mesure où l’explosion du budget de l’assurance maladie s’accompagne d’une augmentation de la dette, des impôts et des prélèvements, cette gabegie que représente la dérive de l’assurance maladie a de lourdes conséquences sur l’économie des Français, de leurs entreprises et de leurs institutions. Autrement dit, le naufrage du système de santé fait couler l’ensemble de la société.

Cette inflation budgétaire engendrée par l’augmentation des maladies chroniques est constatée sur le site de l’Assurance Maladie qui souligne que le nombre d’Affections de Longue Durée (ALD) a doublé depuis plus de trente ans et qu’il continue encore de progresser fortement : « […] le nombre de bénéficiaires pourrait passer de 14,1 millions en 2023 à 18 millions à l’horizon 2035, un chiffre qui aura plus que doublé en l’espace de trente ans. »2

Mais comment un tel système de solidarité nationale peut-il être perverti au point de favoriser la maladie de ses concitoyens ? Quelle est cette corruption qui conduit à renverser un modèle social vertueux en un fonctionnement délétère pour la société ?

Du fait des innombrables scandales sanitaires qui ont eu lieu ces dernières décennies, il est difficile de ne pas associer cette corruption à l’influence des laboratoires pharmaceutiques. La bonne santé de ces multinationales étant inversement proportionnelle à celle des citoyens, ce conflit d’intérêt participe directement du dévoiement du système de santé. Cette influence délétère a déjà été bien documentée3. Elle s’exerce dans de nombreuses institutions et notamment, via le financement de revues scientifiques et de recherches frauduleuses, en dévoyant le champ des connaissances enseignées dans les universités de médecine et de psychologie.

Qu’elle s’opère via de l’argent, de grands restaurants, des voyages, des faveurs sexuelles, des promotions, des financements de recherches, des publications, ou en faisant croire à des traitements qui soignent miraculeusement, cette corruption rime avec séduction.

Autrement dit, l’ampleur de ce phénomène qui désoriente le système de santé met en lumière une problématique aussi structurelle qu’universelle, à savoir cette tendance du Moi humain à se bercer d’illusions, à se détourner du droit chemin.

Dans son ouvrage intitulé Corruptions et crédulité en médecine – Stop aux statines et aux dangers4, le professeur Philippe Even montre bien comment le détournement opéré par l’industrie pharmaceutique repose en grande partie sur la crédulité des professionnels de santé. Mais finalement, il importe peu que cette séduction opère sur le Moi du médecin, celui de l’actionnaire, du politicien, du psychologue ou même du scientifique, la psychanalyse dégage la structure intrapsychique qui participe de cette suggestion : le Moi humain, tel le corbeau de la fable, est une instance psychique qui tend à se laisser subjuguer.

La science psychanalytique met d’autant plus en exergue cette problématique qu’elle fut corrompue dès ses débuts par le Moi de ses disciples. Sigmund Freud remarque en 1928 que le développement interne de la psychanalyse « va partout, à l’encontre de [ses] intentions »5 et Jacques Lacan a précisément mis en lumière comment la mécompréhension du message freudien détourne la psychanalyse de son orientation : au lieu de dégonfler le Moi pour permettre à l’être de construire sa subjectivité, l’altération de l’enseignement freudien conduit à l’inverse à renforcer le Moi du psychanalysant, soit à renforcer ses symptômes et son aliénation.

Cette corruption dans le champ psychanalytique met en évidence la problématique qui affecte aujourd’hui le champ de la médecine, de la psychologie et plus largement celui de la politique, de la justice ou encore de l’éducation. À cet égard, l’amendement 159 sur la fin des remboursements pour les actes qui s’appuient sur la psychanalyse6 illustre bien la dimension universelle de ce sabotage du Moi dans les institutions. Car de la même manière que cet amendement témoigne du gonflement du Moi de sénateurs qui jugent ce que, manifestement, ils ne connaissent pas7, il témoigne également des conséquences nuisibles issues des actions du Moi des analystes, psychiatres ou psychologues en dévoyant la psychanalyse, par leurs mésusages, dans les CMP, les hôpitaux ou dans les universités8.

Qu’elle détourne l’orientation d’une pratique clinique, d’un système de santé ou d’une institution publique, cette tendance à la corruption concerne tous les êtres parlants. N’en déplaise bien évidemment au Moi de ceux qui se pensent droits et vertueux, cette dimension universelle de l’aliénation pose donc une question éthique : s’il est attendu que les psychanalystes poursuivent leur psychanalyse pour éviter que leur Moi ne puisse corrompre leur pratique de la psychanalyse, ne pouvons-nous pas attendre que ce soin éthique puisse également concerner le Moi des médecins, des psychologues et des législateurs ? Au regard de la corruption qui dévoie aussi bien nos institutions que notre système de santé, la question mérite d’être posée. En effet, quand nous mesurons que le Moi peut éviter la castration symbolique en prenant un cache-misère pour une solution – qu’il se présente tantôt comme une thérapeutique, comme un amendement ou même comme une pétition – nous réalisons les conséquences délétères de ces illusions par lesquelles le Moi conditionne sa réalité. La dimension éthique de la psychanalyse consiste à dégonfler cette puissance imaginaire du Moi, c’est-à-dire sa tendance à tordre les signifiants pour corrompre, comme ça l’arrange, les significations qui le dérangent. C’est donc en ce qu’elle permet aux êtres de moins laisser leur Moi s’illusionner et se laisser subjuguer que la psychanalyse apparaît comme une solution, aussi exigeante que ténue, à la corruption.


  1. Faugeras, J. Sur l’inflation des dépenses publiques : l’idéologie qui corrompt le système de santé et le système social, 2024, consulté le 9 décembre 2025. ↩︎
  2. L’Assurance Maladie, Présentation du rapport annuel « Charges et produits pour 2026 », 2024, consulté le 9 décembre 2025. ↩︎
  3. Boukris, S. La fabrique de malades, Paris, Le Cherche Midi, 2013. ↩︎
  4. Even, P. Corruptions et crédulité en médecine – Stop aux statines et autres dangers, Paris, Le Cherche Midi, 2015. ↩︎
  5. Freud, S. & Ferenczi, S. (1929). Correspondance, Tome III, 1920‑1933, Les années douloureuses, Paris, Calmann-Lévy, 2000, p. 378. ↩︎
  6. ECF. Amendement 159 [pdf]. ↩︎
  7. Amorim (de), F. Le piètre spectacle, 2025, consulté le 09 décembre 2025. ↩︎
  8. Amorim (de), F. Trêve, 2025, consulté le 09 décembre 2025. ↩︎

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