Docteur Chloé Blachère
Paris, le 19 novembre 2025
L’amendement 159 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, à savoir le projet de déremboursement des « soins, actes et prestations se réclamant de la psychanalyse », mérite plusieurs remarques :
Mon parcours, personnel, universitaire, institutionnel, libéral, me pousse à témoigner, en ce qui concerne la pratique clinique du soin psychique, de la nécessité d’une formation solide et continue. L’université seule, en dépit des connaissances qu’elle permet d’acquérir, ne peut assurer cette formation et garantir la construction d’un savoir y faire avec la clinique.
Aussi, lorsque cette pratique clinique est orientée par la psychanalyse, cette formation trouve consistance dans un engagement avec une école de psychanalyse, ceci en ce qu’elle permet un travail effectif tant théorique que clinique. Ce travail se décline sous de multiples formes, au sein desquelles l’expérience des ainés enseigne aux plus jeunes et celle des plus jeunes vient actualiser, en la questionnant, celle des ainés. La participation régulière à des groupes d’étude, des réunions cliniques, des séminaires, des conférences, des journées scientifiques, des supervisions individuelles et groupales, ou encore des contrôles, vient nourrir cette transmission, au service de la clinique et des difficultés qu’elle rencontre au quotidien, et qui sont autant de marqueurs qu’une cure (psychothérapie ou psychanalyse) avance.
Ce travail se décline également par un engagement, de la part du clinicien, à poursuivre sa propre psychanalyse durant toute la durée de son exercice clinique, cela en vue de protéger patients (en psychothérapie) et psychanalysants (en psychanalyse) des lectures imaginaires du clinicien (psychothérapeute ou psychanalyste) qui sinon ne manqueront pas de venir, et sans tarder, contaminer la thérapeutique1.
Parmi les éléments qui m’ont encouragée à quitter les institutions et à développer une pratique clinique en libéral se trouvait la question de la responsabilité de l’être vis-à-vis de lui-même, qui ne pouvait être travaillée de la même manière, médiatisée par l’institution et dans un cabinet en ville. L’effort que demande à un être en souffrance le règlement financier de son traitement vient l’engager avec son désir. La consistance de ce qu’il dira, dès lors qu’il en paie le prix, sera toute autre que si ce coût est pris en charge par autrui, ici la collectivité. Ce constat clinique met en lumière le fait que les subventions publiques des centres de soin tout comme le remboursement des consultations de soins psychiques ne permettent pas, par leur principe même, de reconnaître clairement le désir de l’être de s’inscrire autrement dans son existence2 et d’y prendre appui pour la durée du traitement et après.
Dès lors que le clinicien touche sa rétribution pour son travail clinique par une institution et des fonds publics, il n’engage pas de la même manière son désir dans la clinique ; que son travail soit bon ou médiocre, il reçoit la même paie à la fin du mois.
Participer à la vivacité d’une école de psychanalyse qui ne compte qu’avec le désir de ses membres et qui continue d’exister parce que patients et psychanalysants s’engagent eux aussi avec leur désir est fondamental dans le travail accompli. L’expérience du RPH – École de psychanalyse depuis plusieurs décennies atteste que ce travail psychanalytique est possible et d’utilité publique, et qu’il n’est pas nécessaire qu’il dépende de financements publics. En effet, chaque clinicien membre de l’École peut constater et rendre compte que, dans le quotidien de sa pratique, patients et psychanalysants, à mesure que leur cure avance, tombent moins malades, voient leur traitement allégé, ont moins d’hospitalisations, travaillent là où cela n’était pas possible auparavant ou plus depuis des années, aiment davantage, sont davantage impliqués dans la vie de la cité, sont plus apaisés, régulent mieux leurs pulsions de haine et leur précipitation vers la destruction, d’eux-mêmes et d’autrui.
Cette exigence éthique à ne pas dépendre de subventions publiques n’est pas pour autant une validation des arguments mis en avant dans l’amendement 159 dudit projet de loi, à savoir la visée de « garantir une cohérence scientifique ». L’expérience même des cliniciens du RPH – École de Psychanalyse, avec la méthode d’association libre des pensées propre à la psychanalyse et l’usage de techniques validées et constamment réévaluées3, en ce qu’elles font socle commun et produisent des effets thérapeutiques, prouve le caractère scientifique de la psychanalyse.
Enfin, la dimension financière d’une psychothérapie ou d’une psychanalyse régulièrement mise en avant comme faisant obstacle au traitement de la souffrance psychique hors institution n’est pas corroborée par le travail mené depuis 1991 à la Consultation Publique de Psychanalyse (CPP). Cette consultation, assurée par les cliniciens du RPH – École de psychanalyse, accueille toute personne en souffrance psychique à hauteur de ses possibilités financières. Elle en permet le soin, sans que ce soin ne soit contraint par un nombre de séance limité dans la mesure où nul ne peut prétendre par avance du temps que nécessitera chaque traitement.
Au-delà de ce dispositif, chaque clinicien membre du RPH s’attache à recevoir patients et psychanalysants en fonction de leurs possibilités financières, rendant possible le soin psychique pour qui en a le désir et se trouve en détresse.
Ce dispositif, dans la mesure où il fonctionne, gagnerait à être étendu sur l’ensemble du territoire français, dans et hors institutions. Un tel déploiement est d’autant plus possible qu’il ne nécessite, dans le contexte budgétaire critique actuel, aucun financement public. Et il est d’autant plus nécessaire qu’il n’est plus à démontrer l’explosion actuelle de la souffrance psychique et l’insuffisance des réponses qui pour l’heure y sont données.