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La résistance du surmoi en psychanalyse

La résistance du surmoi

 

Fernando de Amorim

Paris, 12. X.2011

 

Une cure, qu’il s’agisse d’une psychothérapie ou d’une psychanalyse, exige du clinicien, mis dans la position de psychothérapeute ou de supposé-psychanalyste, deux actions.

Lorsque quelqu’un l’appelle, désireux de le rencontrer, son acte clinique, pour que la clinique puisse exister, est de répondre à cet appel. Sa réponse fera naître le transfert. Ensuite, il installera et nourrira ce transfert.

Faire naître le transfert, comme son nom l’indique, vise à faire commencer à exister, en l’occurrence, le transfert.

Une fois né, il faut l’installer, ce transfert. Pour cela, il est essentiel d’implanter solennellement le patient et le clinicien dans un locus pour que les deux puissent accéder au symbolique. Cela peut être la séance de Freud avec Katarina à 2.000 mètres d’altitude (Études sur l’hystérie), une chambre d’hôpital (la bibliothèque du service de médecine interne de l’hôpital Avicenne que j’ai occupée avec des patients en la transformant en consultation externe), la CPP du RPH, un cabinet privé.

Cette installation du transfert est possible par un acte cérémonial de silence du clinicien et d’exigence de la parole bien-dite de la part de l’être dans la position de malade, patient ou psychanalysant. La dimension religieuse ici est évidente et je ne suis pas prêt de la lâcher. Si Hippocrate a dégagé la médecine de la fantasmagorie imaginaire qui nourrissait les soins corporels et psychiques – à ce propos, voir ses remarques assassines sur le « mauvais médecin » in « L’ancienne médecine » et sur les « incompétents » in « La maladie sacrée » – nous ne pouvons pas oublier que la clinique exige une retenue évidente de la part du clinicien, retenue quasi religieuse. Le « quasi » atténue et nous éloigne de la connotation purement divine. La relation verbale, ou d’intimité corporelle, acceptée dans la relation d’un père à son fils ou d’une femme à son amant n’est pas admise quand nous avons affaire à un patient. Non pour une raison morale, mais parce que cela ne va pas dans le sens du transfert et de la direction de la cure.

Pour ce qui est du nourrissage, cette opération se trouve du côté du clinicien, du premier à l’ultime contact avec l’être malade (en institution), souffrant (dans la position de patient) ou ignorant (dans la position de psychanalysant). Pendant la durée de la rencontre du clinicien avec l’être dans la position de malade, patient ou psychanalysant, jusqu’à ce moment où le psychanalysant et le supposé-psychanalyste ne se rencontrent plus pour le travail – comme le dit Freud dans « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin » – le clinicien nourrit le transfert
(Cf. « Cartographie in www.rphweb.fr).

Il le nourrit par le manque. C’est ici que nous trouvons la preuve la plus évidente du désir du psychanalyste. Il paye de son désir pour que la relation soit possible.

Tout ceci fait partie de la première action, à savoir, l’action du psychanalyste visant le moi.

La deuxième action vise ce qui caractérise l’opération psychanalytique, à savoir mettre en évidence au moi aliéné la résistance du surmoi.

Pour le repère historique, dans l’addenda de son texte de 1925, « Inhibition, symptôme et angoisse », Freud nous apprend que la résistance du surmoi, ou cinquième résistance, « est celle que nous avons reconnue la dernière ; c’est la plus obscure, mais non pas toujours la plus faible ; elle semble prendre racine dans le sentiment de culpabilité ou le besoin de punition s’opposant à tout succès, et par conséquent aussi à la guérison par l’analyse ».

Nous avons utilisé comme modèle pour étayer notre démonstration, la représentation de l’appareil psychique de Freud dans ses « Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse ». Si nous utilisons le schéma présent dans le texte allemand c’est parce qu’il est le seul à le présenter dans sa vraie position, à savoir, allongé. Toutes les traductions ont fait une présentation verticale de ce schéma, ce qui rend la compréhension de l’idée freudienne difficile, voire impossible.

Schéma 1 (Schéma original freudien de 1932)

 

Nous avons souhaité prendre le relais de ce moment brumeux de la recherche freudienne (« … la résistance du surmoi c’est la plus obscure… »). Pour nous, la résistance du surmoi désorganise le surmoi. L’attitude répressive, dictatoriale n’appartiennent pas au surmoi mais à la résistance du surmoi. Le surmoi est l’héritier du complexe d’Œdipe et se constitue par l’intériorisation des exigences et interdits de l’Autre en tant que trésor des signifiants. Le surmoi, dans son registre symbolique, est porteur de loi et d’apaisement à partir des effets de castration produit dans le moi et dans le ça.

Ce que nous ressentons comme besoin de punition, d’auto-maltraitance, la mégalomanie, l’agressivité, ne sont pas les effets du surmoi mais bien de la résistance du surmoi. Cette résistance a une vie propre à l’intérieur de l’appareil psychique puisqu’il est nourrit par la force constante (konstante Kraft) du ça (Voir trait noir qui va de Vorbewusst (Préconscient) à Verdrängt (Refoulé) dans le "schéma 2").

Ici nous interrogeons le psychanalyste : Comment dégonfler cette résistance ? En comptant avec le transfert et avec les formations de l’inconscient. Selon notre modification du schéma freudien ci-dessous, de la manière suivante : d’une main nourrir le transfert ("alpha" = "A"), et de l’autre, produire un Kiai ("A" = "alpha"). Ce kiai, cri de combat dans les arts martiaux, a la fonction de, à l’image d’une pierre lâchée dans un lac, produire des ondes qui perceront la résistance du surmoi.

Quant à l’axe “alpha” = “a”, nous nous trouvons dans un transfert psychothérapeutique, transfert qu’il faut quitter dès que cela sera possible. Et si cela n’est pas possible, c’est au clinicien de ne pas s’endormir dans une situation aliénante qui est la place du psychothérapeute.

La première formule, formule qui n’a pas de prétention mathématique, se lit : “alpha s’adresse à A barré”. La deuxième se lit : “A répond à alpha”. La visée de cette deuxième formule est, en recourant au kiai comme signifiant (une interprétation, un coup de pied, comme dit Lacan à propos du maître zen dans le séminaire I), de faire en sorte qu’il, le signifiant, entre dans le champ du moi par alpha et, appuyé par le transfert, arrive à Bêta et construise par l’effet des ondes signifiantes des chenaux dans la résistance du surmoi, pour qu’ainsi, la libido puisse circuler entre les instances de l’appareil psychique.

 

Schéma 2 (Modification du schéma de 1932 opérée par nous)

Légende
En vert : les délimitations du moi ;
En rouge : alpha, qui représente la partie du moi qui vient rendre visite au clinicien, et , bêta, une autre partie du moi, plus inaccessible, pour l’instant, aux effets de la castration symbolique ;
En bleu : les ondes produites par le signifiant venu de l’Autre barré ;
En noir : le prolongement du surmoi, qui devient “résistance du surmoi”.

Ainsi, en répondant à alpha, le psychanalyste ne répond pas à la demande, il vise à accéder au registre de l’inconscient, à la résistance du surmoi. De quelle manière ? Avec un Kiai, qui en japonais désigne le cri de combat, mais qui dans le cas du psychanalyste, vise à accompagner ou féliciter la parole bien-dite, produit du désir décidé ; vise un désaccord producteur d’un effet de castration ; vise à éviter la déviation de la route ; vise à pousser le bateau de la cure vers un bon port.

Ce Kiai de l’Autre barré, représenté dans le schéma 2 par “A”, vise à toucher Bêta en passant par alpha, comme les ondes produites par une pierre qui tombe dans un lac. Les ondes produites par le Kiai en forme d’interprétation s’adressent à alphamais visent Bêta et surtout la résistance du surmoi, représentée dans le schéma par le trait noir qui va de Vorbewusst(Préconscient) jusqu’à Verdrängt (Refoulé).

Cette opération, interne, est produite par le psychanalyste sous forme de Kiai, des formations de l’inconscient et par son style. De cet art, nous pouvons reconnaître que des psychanalystes comme Reich, Tausk, Ferenczi, Winnicott, et Lacan, ont fait des usages magistraux du point de vue clinique et à certains moments de leur praxis, pour produire un effet d’accès clinique à la résistance du surmoi.

La résistance du surmoi empêche le surmoi d’alerter le moi quant aux conséquences de ses actes. La fermeture de cette relation possible entre le surmoi, le moi et le ça, a comme conséquences : l’aliénation du moi (« Das Ich »), ce qui l’enferme sur lui-même (ligne verte de notre schéma) ; l’impossibilité de la circulation de la libido du ça (“Das Es”), ce qui empêche la libido et le signifiant d’apporter du plaisir nécessaire pour que le moi (“Ich”) supporte la confrontation quotidienne avec le réel. Cette impossibilité oblige la libido à passer par la bucca (sous formes de maladies corporelles), puis par l’ouverture de ’32 (sous formes de maladies organiques et de passages à l’acte), comme nous l’avons écrit dans l’article « L’efficacité de la thérapeutique et les limites du praticien », dans le numéro 10 de la revue de psychanalyse et clinique médicale.