Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital > L'école > Carnet du RPH > Une clinique possible avec le psychotique

Une clinique possible avec le psychotique

 

Le suivi psychiatrique tourne court

Fernando de Amorim
Paris, le 9. V. 2011

 

C’est le titre du “Monde” dans son édition du dimanche 8 - lundi 9 mai 2011. Le titre complet est « Le suivi psychiatrique par des infirmiers libéraux tourne court à Toulouse ». A partir de cet article de Laetitia Clavreul, j’aimerai commenter la stratégie clinique du RPH et notre politique de santé.

 

En France nous avons le pain, le beurre et le couteau, mais tout laisse à penser que nous ne savons pas faire de tartine ! Nous avons des étudiants en psychologie, et nous laissons ces jeunes-gens, plein de désir de professionnalisation, marinés pendant des années sur les bancs de leur écoles ou facultés sans qu’ils leur soient permis de se confronter, de se frotter à ce qui pourra devenir leur pain quotidien s’ils deviennent des cliniciens, à savoir, supporter le transfert et conduire des cures.

 

Au sein de notre école, nous invitons, à partir de leur demande, mais appuyés par les résultats de leur cure personnelle, les étudiants à commencer à recevoir des patients. Bien entendu, ils n’ont pas d’expérience, mais ils n’en auront jamais si nous ne leur donnons pas l’opportunité de se mettre au plaisir de l’opération clinique. « Plaisir » parce que travailler produit des sensations de plaisir. Le travail est un tripalium, un « instrument de torture », quand l’être travaille sans goût, quand il ne croque pas à la pomme qu’il a contribué à faire éclore. Or, cette jeunesse ne demande qu’à gagner sa vie avec son travail. Il y a des gens qui aiment faire le boulanger, d’autres se faire de l’argent, d’autres écouter la détresse pour que, de cette détresse, une voie possible puisse s’ouvrir. D’où vient ce désir de devenir psychothérapeute ou psychanalyste ? Cela fait partie d’un point d’indicible.

 

Après cette introduction, discutons maintenant de l’échec de l’expérience toulousaine. L’échec n’est pas dû aux incivilités de quelques-uns, cela est l’affaire de la CPAM et des gens de Police.

 

Notre affaire est clinique : un infirmier, fut-il formé à la psychiatrie, a-t-il compétence à assurer le suivi de patients psychotiques ? Non, pas plus que les psys, à l’exception de ceux qui ont une formation clinique. Et cette formation clinique d’excellence se fait déjà en France, de manière aléatoire, au un par un, par des psychanalystes mais pas encore sous la forme d’un programme au cœur des écoles de psychanalyse.

 

Ce dernier paragraphe peut sonner durement, sèchement, aux oreilles du lecteur, mais peut-on s’exprimer sur un autre mode ? L’expérience de Toulouse n’est pas dissociée des conséquences de l’enseignement de Jacques Lacan. C’est lui, avec sonretour à Freud, qui a poussé toute une génération de cliniciens de la parole à aller vers une clinique possible avec le psychotique. Mais nous n’avons pas encore recueilli tous les fruits de son enseignement ; on n’a même pas encore fait le tour de Freud, aussi, ne nous étonnons pas d’un certain retard de notre part à mettre en place des dispositifs - moins couteux pour la collectivité - de prise en charge de la folie.

 

Venons-en maintenant aux propositions : comment transformer l’expérience toulousaine en une réussite ? En faisant en sorte que les jeunes étudiants en psychologie, en médecine, en philosophie, en école d’infirmière qui envisagent de devenir psychothérapeutes ou psychanalystes, puissent commencer une psychanalyse, histoire d’interroger ce désir de faire de l’écoute de l’autre un métier ; que les écoles de psychanalyse puissent accueillir cette jeunesse en la formant ; en demandant aux patients reçus par ces jeunes de payer la consultation. C’est une absurdité clinique de demander à une personne dans la misère de continuer à payer avec sa misère. Il faut payer avec du papier appelé « euro », pas avec sa peau, ni avec sa vie.

 

Si les infirmiers veulent recevoir des patients, faire une « visite régulière » aux patients livrés à eux-mêmes à domicile, il faut se former à la clinique psychanalytique et à la stratégie du psychanalyste en institution. J’avais publié sur ce sujet un document intitulé « Tentative d’une clinique psychanalytique avec les malades et les patients de médecine ».

 

Les infirmiers occupent ce vide clinique parce que personne ne vient leur signaler que ce qu’ils font est très important mais exige une préparation pour le faire. Cette préparation, pour n’importe quelle personne qui désire écouter l’autre de manière à opérer dans le champ libidinal et du désir de l’être, passe par le divan d’un psychanalyste de son choix. Une formation de psychothérapeute pour faire de la psychothérapie est insuffisante en soi.

 

Aller vers les patients doit être une position transférentielle et non une place. Nous pouvons aller vers le patient, mais avec l’intention que le patient puisse, le moment venu, venir vers la consultation à l’extérieur, 3e moment de notre stratégie clinique qui consiste à sortir le malade de l’hôpital en lui permettant un retour vers la vie dans la Cité. Si nous n’avons pas cette cartographie à l’esprit nous ne faisons pas notre travail (www.rphweb.fr).

 

Selon notre expérience, cette stratégie évite, voire diminue les hospitalisations régulières.

 

Les jeunes cliniciens, épaulés par un aîné, peuvent assurer ce travail. Ils ont de leur côté leur désir de savoir (ils sont en psychanalyse), leur jeunesse (qui les autorise à des postures cliniques sérieuses et pourtant audacieuses).

 

Aidons-les à recevoir des patients, appuyons-les, parions sur eux. Vu de ma fenêtre, l’avenir est jeune.