Qu'est ce la cartographie de la clinique ?

 

Réponses à des questions sur la Cartographie

Fernando de Amorim
Paris, le 28. XI. 2011

 

La cartographie n’est pas la représentation de quatre temps qui seraient différents mais bien plutôt de quatre positons subjectives de l’être bien distinctes, à savoir, position de malade, de patient, de psychanalysant et de sujet.

 

Il y a des retours en arrières possibles pour l’être, pris dans l’une des trois premières positions.

Le retour en arrière pour un malade, c’est la mort. S’il va vers l’avant, il occupe la position de patient.

Le retour en arrière pour un patient c’est redevenir malade. S’il va vers l’avant, il devient psychanalysant.

 

Le retour en arrière d’un psychanalysant, c’est redevenir patient. A ce moment-là, il quitte le divan et il retourne au fauteuil. S’il va vers l’avant il sort de la psychanalyse et devient ainsi sujet, responsable de ses actes et de sa relation à l’Autre, et il entre dans une danse alors possible avec le réel. Il s’agit ici de repères libidinaux symboliques dans une articulation avec l’imaginaire et le réel. Dans le réel, la mort biologique peut frapper à n’importe quel moment, mais, heureusement, on ne pense pas à ça tout le temps. On pense à l’être aimé, aux enfants, aux impôts, à la crise financière, à l’avenir de l’Europe, au nucléaire et aux prochaines vacances d’été. Bref, à la vie quotidienne.

 

Dans la position de sujet, c’est-à-dire quand il sort de sa psychanalyse, il n’a plus le droit à faire le con.

 

Il y a la connerie, celle dont Lacan disait que la psychanalyse était sans remède et il y a faire le con, c’est-à-dire, faire semblant de ce qu’on n’est pas. La cure peut être psychothérapeutique ou psychanalytique. Nous trouvons la cure psychothérapeutique à l’hôpital et quand l’être s’installe sur le fauteuil. La cure psychanalytique se déroule quand l’être est allongé sur le divan. Dans la position de sujet l’être n’est pas en cure. La grande majorité des êtres ne sont pas en cure, psychothérapeutique ou psychanalytique, ils vivent leur vie.

 

Les différentes tonalités de vert illustrent un éclaircissement progressif des choses. Du vert foncé dans la position de malade, puisqu’il n’est pas drôle d’être à l’hôpital, à un vert pâle quand on trouve sa position dans le monde.

 

La position de malade se caractérise par le fait qu’on se trouve dans un hôpital ou tout autre lieu de soin, que ce soit un hôpital général ou spécialisé, psychiatrique par exemple. Mais, surtout, nos moyens de déplacement sont limités par la maladie ou par la contrainte, chambre d’isolement, par exemple.

 

Dans la position de patient, l’être ne reconnaît pas forcément sa part de responsabilité dans ce qui lui arrive, alors que nous attendons cette flexibilité chez le psychanalysant. C’est en posant sa question au grand Autre que l’être quitte la rivière pour entrer dans l’océan. Cette opération, que j’ai mise en place, a été étudiée et vérifiée par les membres cliniciens du RPH. Elle est toujours en état de vérification et nous la traitons en tant qu’hypothèse de travail. Si elle devait s’avérer pertinente, nous aurons alors un mode clinique et scientifique d’examiner s’il y a eu ou non, psychothérapie ou psychanalyse, et si le psychanalysant, le moment venu, est vraiment sorti de psychanalyse ou s’il s’agit d’une sortie imaginaire.

 

Récemment quelqu’un avait donné toutes les indications d’une sortie de psychanalyse (retour sous forme de réponse consistante à la question qui a produit l’entrée en psychanalyse, avec les indicateurs qui justifient l’accord du psychanalyste pour la sortie : apaisement psychique, changement de sa condition subjective). En suspendant la séance, je me lève sans mot dire car c’est à lui de ne plus revenir, ce n’est pas au psychanalyste de donner un quelconque assentiment. Il s’agit d’une décision avec laquelle l’être doit s’engager « selon un accord intime, telles la main droite et la gauche ». Il est appelé à assumer son acte inaugural strictement seul, sans l’intervention du psychanalyste. Cela se passe normalement de cette manière. Dans notre cas de figure, il est revenu le lendemain à la séance et a signalé, pour la première fois, une franche difficulté à se confronter. J’avais là l’élément nécessaire pour qu’il continue à naviguer. Dans la position de psychanalysant, l’être désire naviguer dans les eaux, jamais sillonnées avant, de son « océan inconscient » - pour paraphraser Magellan qui, en 1520, baptisa l’océan de « Pacifique », ou Lazarev et Gottlieb von Bellingshausen qui, en 1820, l’appelleront « Antarctique ».

 

Dans la position de psychanalysant, l’être navigue dans cet océan énigmatique comme s’il était un pionnier, comme un Gil, un Magellan, Un Colomb. La visée est de l’amener à bon port, sur la terre ferme. Pendant la traversée le comportement du psychanalysant change, mais c’est en touchant terre que nous pouvons dire qu’il a traversé symboliquement son océan inconscient. Si l’être est sur le divan, il est en psychanalyse, s’il vacille à dire ou traîne des pieds, cela s’appelle tout simplement de la résistance.

 

Pour celui qui écoute, la conduite une psychanalyse est toujours caractérisée par l’instabilité. Il n’y a pas de rencontre tranquille pour un supposé-psychanalyste. Il ne sera reconnu comme psychanalyste de cette cure que s’il arrive à amener le bateau de la cure à bon port. Cela vise à éviter les triches humaines et compréhensibles, de celles et ceux qui, pour accéder à la position tant attendue de psychanalyste et d’en tirer les bénéfices narcissiques et sociaux, précipitent imaginairement le patient vers le divan, ou hors de la psychanalyse en disant qu’elle est arrivée à terme. Cela équivaut plus à un avortement qu’à un accouchement. Il s’agit dans ce cas de figure d’une opération de pouvoir et d’un statut social soutenu par le semblant.

 

La question au grand Autre n’est pas forcément liée à l’Œdipe. Elle est liée surtout à ce qui, pour l’être, pose question dans sa relation à l’Autre et au réel. Ce que la psychanalyse nous a appris c’est que, pour y répondre il faut naviguer sur la route de la castration et traverser la ligne d’arrivée œdipienne, comme lorsque les marins modernes arrivent d’une traversée, d’une course transatlantique, telle la route du Rhum.

 

Une fois que l’être trouve réponse à sa question, selon les critères cités ci-dessus (route de la castration, traversée du fantasme œdipien), il peut quitter la psychanalyse. Nous pouvons parler et reparler de cette réponse comme une forme de témoignage, de passe, pour témoigner de ce qu’il a appris de son inconscient, et non de ce qu’il a appris de la navigation de l’autre. Qui parle de sa cure ? c’est le psychanalysant, le psychanalyste ne sait pas de quoi il parle quand il parle de la cure de son psychanalysant. Parfois on parle de la cure de l’autre pour ne pas avoir à se mouiller avec la sienne.

 

Nous ne pouvons pas être totalement sujet, mais en tant que sujet, notre devise de vie est d’être responsable de notre désir dans la relation à l’Autre et à nos semblables. En tant que sujet, l’être n’a plus le droit de faire le con. Mais s’il fait le con, l’éthique du sujet est, qu’il en assume les conséquences et non, par exemple, de dire que c’est à cause de papa, maman ou de l’oncle Tom.

 

La psychanalyse avec fin, concerne les normaux, celles et ceux qui viennent rencontrer un psychanalyste pour des erreurs de navigation dans leur vie. Pour les psychanalystes et quelques autres, elle est sans fin. Pour ces autres c’est une question de structure, pour le psychanalyste c’est pour protéger le psychanalysant et la psychanalyse de son ego.

 

Un psychanalyste devrait avoir un ego à l’image de cet onzième taureau de Picasso. Or, on est loin du compte. L’ego du psychanalyste existe, heureusement, mais il doit dans la cure, comme dans la vie, être représenté d’un trait, l’essentiel.

 

Le besoin dans la cartographie fait référence aux nécessités physiologiques de l’être. L’offre est ce que propose le psychanalyste dans la position de psychothérapeute ou, lorsqu’il est mis dans la position de supposé-psychanalyste et que le malade, le patient ou le psychanalysant, braqué, borné, esclave de la résistance du surmoi, fait le fou ou le devient, l’offre du clinicien est de proposer un Autre possible à l’ego, différent de la relation imaginaire, inévitablement agressive, voire mortelle.

 

Le supposé-psychanalyste est le clinicien dans le bateau, en plein océan de l’inconscient en acte. Le psychanalyste est celui qui, puisqu’il a fait une traversée, a gagné l’autorité auprès de ses pairs, porte l’éthique de la psychanalyse et dessine avec son école d’attache - comme un port d’attache -, l’avenir de la praxis psychanalytique.

 

Le psychanalysant reconnaît celui qui l’écoute et qui l’a invité à passer sur le divan en tant que psychanalyste, et il a bien raison. Ce titre de supposé-psychanalyste est un garde-fou qui opère entre collègues. Aussi quand un respectable spécialiste des oreilles, installé sur un perchoir, vient se mêler de la psychanalyse, de la formation des psychanalystes, il ne faut pas s’étonner que les psychanalystes se mettent en ordre de bataille et chargent. Depuis, le dit Monsieur parle de psychologie et de psychothérapie mais pas des psychanalystes.

 

Le psychanalysant est celui qui a le plus d’autorité pour reconnaître, critiquer, juger, la qualité clinique de celui qu’il a choisi pour conduire le bateau de sa cure. Les autres, l’école psychanalytique d’attache, le superviseur, les confrères, sont des repères secondaires, importants, certes, mais ayant le statut de secondaire. Un psychanalysant c’est un être attaché à son psychanalyste par transfert. Le transfert du psychanalyste, au contraire de l’amour, n’est pas aveugle. Ce qui nourrit une psychanalyse c’est le transfert, ce n’est pas l’amour. Dans la grande majorité du temps d’une cure, et même parfois quelques années après, c’est une antipathie, voilée ou franche, que nourrit le psychanalysant pour celui qui, pendant des années, l’a patiemment écouté.

 

Pauvre psychanalyste ? Pas du tout ! Personne n’est allé le chercher sous le lit pour devenir psychanalyste ; en outre, il est payé, c’est donc son métier puisqu’il l’a voulu ainsi. C’est son désir. Et être main dans la main avec son désir dans le monde, est un privilège que très peu d’êtres peuvent afficher avec aisance. Un psychanalyste est gentil - comme il peut ne pas l’être, par opération clinique. Cependant, il sait que, être gentil pour cacher son incompétence ne tiendra pas la route.

 

Il ya des gens gentils, et d’autres amères. Les psychanalystes sont gentils parce qu’ils ont parlé de leur haine sur le divan, parce qu’ils sont contents d’être psychanalystes, parce qu’ils sont heureux d’être de la partie, à entendre la rencontre avec le psychanalysant, et non pas parce qu’ils font un calcul de gentillesse. Les patients, surtout les psychotiques, repèrent le faux très rapidement. C’est pour cela que le psychotique peut être insupportable pour certains. Parfois le psychanalysant pense qu’il vient en séance par amour du psychanalyste. Cette position existe et est inévitable.

 

Cependant, la psychanalyse prend une tournure éthique où l’engagement du psychanalysant est avec le désir de savoir et non avec l’amour du transfert, quand l’être vient pour dire librement ses pensées sans attendre rien en retour. Il fait ça comme ça, parce que c’est sa nature, c’est sa structure. Comme la structure du poisson est de vivre dans l’eau et celle du dromadaire sur terre, celle du psychanalysant est de venir bien-dire à celui qui désire bien écouter. Le psychanalyste ne peut rien non plus, puisque son désir est engagé dans cette voie, à savoir d’occuper la position de l’objet a.

 

La passe au sein du RPH est d’abord autorisée par le discours du psychanalysant. Le psychanalysant en sortant de sa psychanalyse lui signale, au supposé-psychanalyste, qu’il est devenu psychanalyste. Maintenant c’est au psychanalyste de le prouver à ses pairs. C’est pour cette raison que nous avons les actes des réunions cliniques dans notre bulletin, pour que le psychanalyste organise la preuve de son acte. Sans cela, on ne peut faire confiance qu’à sa parole. Or, il n’y a pas de parole du psychanalyste puisqu’il n’a pas parlé. Celui qui a parlé, pendant la cure, était le psychanalysant. Parfois le psychanalysant témoigne de sa psychanalyse, ce qui légitime l’acte du psychanalyste. Le psychanalyste quant à lui, ne peut témoigner que de sa psychanalyse. En ce faisant, il le fait en tant que psychanalysant, ce qui signifie qu’il témoigne de l’acte de son psychanalyste à lui.