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Prévention du cancer du sein en médecine et en psychanalyse

Prévention du cancer du sein

 

Fernando de Amorim (1)
Paris, le 01. I. 2011

 

Depuis le début de la psychanalyse, plusieurs psychanalystes se sont intéressés à la relation entre la médecine et la psychanalyse. Rien d’étonnant à cela puisque la grande majorité des premiers psychanalystes étaient des médecins.

 

Ainsi, quand les gènes du cancer (BRCA1 et BRCA2) ont été découverts au début des années 1990, plusieurs voies de prévention furent proposées aux femmes : des médicaments anti-œstrogènes, ablation chirurgicale des seins ou des ovaires, surveillance radiologique.

 

Selon « Le Figaro du 2. IX. 2010 », la revue américaine The Jama publie une enquête de grande ampleur qui nous apprend que « l’ablation préventive des seins et/ou des ovaires réduit le risque de cancer et de décès chez des femmes dotées de l’un ou l’autre gène de prédisposition à cette maladie ». Cette logique gagne de plus en plus la médecine, et les médecins qui sont formés à l’anatomophysiologie suivent, parfois aveuglément, cette logique sans s’interroger plus avant sur les conséquences de leurs actes.

 

Je pense que la psychanalyse, et le RPH depuis 1991, proposent une voie moins abrupte, avant d’arriver à cette logique ablative. Et c’est dans cette perspective que je réagi au résultat de cette enquête. Cette voie proposée par le RPH consiste à proposer, avec leur médecin traitant, une psychothérapie ou une psychanalyse aux personnes qui ont un cancer ou sont susceptibles d’en déclencher un, car, il faut le rappeler, ce n’est pas parce que quelqu’un est porteur du gène d’une maladie quelconque, que la maladie en question se déclenche obligatoirement.

 

J’assure la psychanalyse de plusieurs personnes atteintes de cancers (sein, thyroïde, ovaires, leucémies) (2) Depuis qu’elles sont en psychanalyse, et en suivant le protocole médical, je vois naître un apaisement organique. Les raisons d’un tel apaisement ne me sont pas connues et c’est pour cette raison que je fais appel aux personnes concernées afin qu’elles donnent leur avis. Cette participation décidée du malade le rend patient, ensuite elle le rend psychanalysant et peut même l’installer dans la position de sujet, responsable de son corps et de sa vie.

 

Il semble, c’est mon hypothèse de travail, que cet apaisement organique soit le résultat de l’enfer psychique, qui trouve sur le divan lieu d’expression verbale. Depuis Freud il en est ainsi avec, bien entendu, des fausses routes, des tentatives malencontreuses, mais qui appartiennent à la recherche clinique. Ainsi, au lieu de proposer d’emblée aux femmes de se séparer d’une partie de leur corps chargée d’immense importance subjective, je propose aux médecins de compter, plus que jamais, avec la psychanalyse et avec les psychanalystes.

 

Jean-Baptiste Legouis a écrit un article sur la stratégie clinique possible dans la clinique avec une patiente atteinte d’un cancer du sein (3). Je pense aussi au témoignage vivifiant et rafraichissant de Viviane Marini-Gaumont, à qui j’avais demandé de témoigner de sa psychanalyse avec Jacques Lacan, celui qui, comme Freud, essuie de temps à autres les foudres de la haine, de l’amour ou de l’ignorance. C’est Jacques Lacan qui a demandé à Viviane de lui apprendre à faire des tresses d’indienne. Cela pour le sortir, Lacan, l’homme de clinique, de science, de l’embarras face au désir inconscient. Ce même désir qui est là dans les seins des femmes et des hommes, quand il n’est pas ailleurs. Notre médecine, en tranchant dans le vif à l’instar du pauvre Alexandre, héros de ma jeunesse, face aux nœuds embarrassant de Gordias, ne sort pas honorée de la précipitation vers l’ablation.

 

Je demande aux médecins, avant de penser à l’ablation, d’introduire la possibilité pour ces patientes de nous rencontrer. Dans l’enquête de Lacan, enquête qui lui a pris tout le reste de sa vie et dont nous, ses élèves, avons pris le relais, celui-ci met en évidence le nœud borroméen, c’est-à-dire trois nœud articulés et qui se caractérisent par le fait que, si on coupe l’un des trois nœuds, n’importe lequel, les deux autres se défont. Nous sommes ici loin de la logique vétérinaire où on coupe un sein pour empêcher le cancer du sein. Il est tout à fait vrai, nul n’en doute, que si on coupe les seins d’une femme plus jamais dans sa vie elle n’aura de cancer du sein.

 

Le drame est que la résistance du surmoi est féroce et même obscène et, puisque la femme sans seins n’aura plus de cancer du sein, on va chercher d’autres femmes passibles d’avoir les gènes du cancer du sein pour leur proposer de couper leurs seins.

 

La médecine anglo-saxonne prône une façon globale qui de plus en plus s’éloigne de la clinique, la spécificité de chaque organisme humain traversé par le langage, ma façon à moi de définir un corps.

 

L’article signale que les chercheurs se sont penchés sur 2 482 femmes et il est permis de penser que c’est surtout sur leurs dossiers, radios et examens en tout genre. Nous sommes loin de ce que nous entendons par clinique.

 

Du côté français, nous sentons la prudence, fruit d’une tradition médicale du « un par un », même s’il est nécessaire de prendre en considération, bien évidemment, les résultats des collègues d’Outre-Atlantique.

 

Le Professeur Dominique Stoppa-Lyonnet et les docteurs Suzette Delaloge et Olivier Caron attendent la démonstration que « l’ablation des seins est bien associée à long terme à une réduction de la mortalité ». Cette manière française de raisonner/résonner est à l’opposé de la manière vétérinaire : sans le dire, ils laissent la possibilité à ce qu’un discours différent puisse venir éclairer leur lanterne clinique (4).

 

Cette lanterne vient de la psychanalyse, de l’écoute du désir inconscient, de l’identification à des éléments d’une vie qu’une psychanalyse peut délier, relier autrement. Quand nos médecins français mettent en évidence ce bémol : seule la surveillance à long terme pourra démontrer ce qui est affirmé par les résultats de l’enquête nord-américaine, je trouve là aussi une porte, une fenêtre, une brèche, une trouée, par où la rencontre avec le psychanalyste peut devenir possible comme thérapeutique à ce qui est, jusqu’à présent, proposé comme tranchant. Souhaitons que les médecins et chirurgiens envisagent qu’une psychothérapie avec un psychanalyste ou une psychanalyse, puisse être une quatrième voie possible à la prévention du cancer du sein !

 

 


1. Psychanalyste, Directeur de la consultation publique de psychanalyse (Paris IX). Courriel : f.dea@wanadoo.fr
2. Baudiment, L. (2002), Témoignage de la traversée d’une cure, Entretien réalisée par Laure Baudiment in Revue de psychanalyse et clinique médicale, n° 10, p. 89.
3. Casassus, P. (2007), Ca n’empêche pas d’exister in Revue de psychanalyse et clinique médicale, n° 20, RPH, Paris, 2007, p. 123.
4. Legouis, J.-B. (2010), Cicatrice réelle et symbolique in Revue de psychanalyse et clinique médicale, n° 26, RPH, Paris, p. 18.
5. Mitz, V. (2002), La chirurgie esthétique est-elle déjà une automutilation ? in Revue de psychanalyse et clinique médicale, n° 9, RPH, Paris, p. 135.