Ne pas vouloir savoir : combien ça coûte ?

 

Ne pas vouloir savoir : combien ça coûte ?

Marine Lalonde 
Paris, le 12. III. 2013

 

Pierre me contacte un matin, très angoissé. Je le reçois le jour même et lui demande ce qui le fait souffrir. Sa réponse ne se fait pas attendre : l’hypocondrie. Et ce depuis quatre mois. Je l’interroge : s’est-il passé quelque chose de particulier il y a quatre mois ? Il réfléchit et m’annonce : « ça n’a pas de rapport mais j’ai arrêté de travailler. Ça m'a pas perturbé plus que ça, ça ne me dérangeait pas ».  Il y a dans le travail comme un tuteur qui vient soutenir la personne dans son existence. 



Pierre travaillait à l’étranger, en Europe, dans une entreprise française. A la fin du mois d’août, son contrat prend fin. Il rentre en France, à Nice, et ses symptômes se déclenchent : il a mal au thorax et pense avoir un problème cardiaque. Il se rend à l’hôpital où des examens sont réalisés : il n’y a rien qui justifie sa douleur. 



Cela se répète plusieurs fois, ces symptômes, et d’autres apparaissent. Il retourne à l’hôpital, repasse des séries d’examens, avec en tête l’idée d’avoir le SIDA, puis la sclérose en plaques : le nom de la maladie le harcèle, se répète, dans sa tête. 



Un jour, à l’hôpital, c’est un psychiatre qui le rencontre et lui donne les coordonnées du CMP. Pierre dit « J’y ai vu une psy, deux ou trois fois, qui m’a expliqué que j’avais un délire hypocondriaque, que j’étais tellement persuadé d’être malade que ça servait à rien de parler, qu’un traitement avec des médicaments était la seule chose qui me calmerait et m’enlèverait ces pensées ». 



Lors de cette première rencontre, ce n’est pas un délire que Pierre exprime, mais une peur. Je l’interroge : est-il certain d’être malade ? « Non, le pire c’est ça, c’est le doute. Parfois, j’arrive presque à me convaincre ». Certitude délirante ou crainte névrotique? L'examen nous permettra d'affiner le diagnostic. 


Pierre a quitté Nice et a emménagé en région parisienne. La proposition du CMP, il dit ne pas pouvoir l’accepter. Ces symptômes ne sont pas nouveaux. Il a aujourd’hui 28 ans. A 18 ans, il avait déjà déclenché cette peur massive, handicapante, d’être atteint d’une maladie grave, peur qu’il réussissait à taire au prix d’un traitement médicamenteux lourd, qu’il a pu, avec son médecin, diminuer jusqu’à l’arrêter, il y a deux ans. Il ne veut pas « retomber dans les anxiolytiques, ou pire ». 



Je lui propose donc de venir me rendre visite, régulièrement, dès le lendemain, pour, comme il dit, parler cette angoisse. Il ne peut pas payer grand-chose et j’accepte qu’il paye ses séances ce qu’il peut, pour le moment. 



A la Consultation Publique de Psychanalyse (CPP) du RPH, le clinicien travaille avec cette stratégie, élaborée par Fernando de Amorim : il installe le transfert et rend possible l’entrée en psychothérapie, quels que soient les moyens financiers de la personne qui vient lui rendre visite. Il nourrit ce transfert afin que la personne puisse occuper la position de patient et s’accrocher à cette cure. Il lui propose de venir régulièrement, tous les jours ou plusieurs fois par jour si la situation le nécessite, mettant en place la technique de l’écarteur, également proposée par Fernando de Amorim. Le clinicien poursuit ainsi, il conduit la cure qui vise à ce que le patient trouve une façon d’être au monde, vivable pour lui. S’il est psychotique, ce sera sous la forme d’un quatrième nœud, comme a proposé de le théoriser Jacques Lacan, sinon, ce sera au travers d’une durcharbeitung freudienne. 

Pour autant, à la CPP, les séances ne sont pas gratuites. 

Elles ont un prix. Il est très difficile à Pierre de déterminer quel prix il peut payer pour ses séances. Il est en difficulté, financièrement. Il emploiera alors cette formule : « Heureusement que j’ai la CMU, sinon, je ne sais pas comment je ferais en ce moment ». 



Parce que les examens de Pierre ont un coût, les consultations aux urgences, les radiographies, les examens, les lits d’hôpitaux, qu’il semble solliciter à tout bout de champ, tout cela a un coût. Qui paye pour cela ? Pour l’instant, ce n’est pas à lui, Pierre, que ça coûte. 



Pierre tire bénéfice d’un système qui lui permet de nourrir son symptôme et de continuer à ne pas savoir. 


Comment s’étonner qu’à la deuxième séance – manquée – je lui téléphone, cherchant à savoir si je dois l’attendre et qu’il me réponde : « Non, pas aujourd’hui, je suis malade, je dois faire des prises de sang et une radio, je vous rappelle ».