Lettre du RPH du mois d'août

 

Lettre du RPH

Édith de Amorim

 

Le dernier souffle de juillet et les prémices aoûtiennes

 

 

 

Jeanne Moreau est décédée. D’autres aussi, artistes comme elle, très peu de temps après, mais que voulez-vous, elle occupa toute la place, il n’y avait plus de place dans l’espace-temps médiatique. Et c’est comme ça.

 

Donc l’été n’est pas que le temps des vacances mais, tout comme l’hiver et l’automne et le printemps, il est le temps où la mort passe, et passe, jamais lasse, jamais à la ramasse, jamais crasse, elle passe.

 

Passent aussi les palmarès ineffables tels que le montant d’une clause inclassable – 222 millions – pour que le brésilien Neymar puisse venir jouer au Paris Saint-Germain. Mais écoutant – par désœuvrement, je vous prie instamment de me croire – les explications de spécialistes de football hexagonal et international j’entends que la venue de cette pointure est une bonne chose pour tout le championnat de Ligue 1 en France. Par bonne chose, il faut entendre « émulation ». Je ne sais si un meilleur niveau de football est réellement une bonne chose nationale mais tout ce qui tire vers le haut est bon à prendre.

 

Autre palmarès impayable, mais qui se paye rubis sur l’ongle cependant, c’est le nombre d’overdoses outre-Atlantique dues aux opiacées médicamenteuses ; trop d’antidouleurs trop forts et les scores explosent ceux des accidents de la route et des armes à feux. Il faut le faire, bravo les laboratoires pharmaceutiques et leurs thuriféraires – en cette occurrence chimique il s’agit de chercheurs de l’université de Boston qui, en 1980, si j’en crois Le Figaro du 3 août, certifiaient que « … le développement d’addictions est rare chez les patients sans antécédents de dépendance. » sauf que les héroïnomanes ont commencé leur carrière de drogués avec les médicaments. C’est pas beau ça !

 

Revenons à nos transhumances. Comme je n’ai plus dix ans, je sais que l’été, à l’inverse de la mort, ne fait que repasser les plats, rien ne trépasse et l’au-delà des vacances n’est pas pour demain mais est là, toujours, déjà ; il est là. Aussi viendrai-je rider la surface de votre farniente en évoquant le thème des prochains colloques que le RPH propose pour une nouvelle série de trois : l’Œdipe. Et devinez quoi ? Le tout premier épisode concerne la mère. Rien que ça. La maman et l’être mère.

 

Mais parce que c’est l’été, l’Œdipe sera mis en chansons (c’est mieux en chansons, non ?) :  de Tino Rossi à Françoise Hardy, en passant par Sexion d’Assaut et Marie Laforêt, sans oublier Arno, préparez vos mouchoirs : l’amour d’une mère pour son fils – pour l’heure je n’ai rien trouvé dans la chansonnette qui parle de l’amour d’une mère pour sa fille – et l’amour des fils – bon y’a bien une fille qui stridule « tu m’as donné la vie » – pour leurs mômans valent bien comme première pierre à l’édifice œdipien.

 

Edifice car il s’en trouve encore, nombreux, pour rire au nez de ceux qui parlent du complexe d’Œdipe : « c’est une blague ! » haussant les épaules. Papa ? Maman ? C’est quoi ça ?

 

« Ca » est tout simplement, tout bonnement, tout bêtement, le prodrome au traité de notre histoire naturelle : eh oui !

 

Comme on se nourrit, comme on rit, comme on se couche, comme on aime, comme on couche, comme on chie, comme on se retient, comme on respire, comme on pleure, comme on rompt, comme on se relève, comme on prie, comme on pense, comme on dort, comme on tombe malade, comme on ose, comme on rate, comme on avance, comme on recule, comme on a peur, comme on se mouche, comme on se pâme, comme on hait, comme on grossit, comme on pleure, comme on se caparaçonne, comme on voit l’autre, comme on exhale, comme on râle, comme on se brosse les dents, comme on s’aime, comme on se hait, bref, commençons.

 

Ce père, cette mère, ce couple, dans un premier temps, puis viendront les frères et sœurs qui nous précédent ou qui nous suivent, mais d’abord il y a elle, la mère. Celle qui nous nourrit, nous torche, nous change, nous berce, nous regarde, nous parle, nous promet, nous laisse et nous revient jusqu’au jour où on s’aperçoit qu’il y a cet Autre, moins proche, moins concerné, moins habile, moins meuble – entendez moins tendre, moins malléable, moins impressionnable – qu’elle et qui interfère entre elle et nous. Problème, énorme pour nous, êtres sans défense et surtout sans autres armes que nos cris.

 

Pour apporter tous ces soins à nous, êtres limbiques que nous sommes encore, que leur faut-il à ces mères ? Le sens du devoir ? Oui. La satisfaction d’être toutes puissantes ? Oui. Le désir ? Oui, mais… lequel ? D’où sort-il celui-là de désir ? De leur chapeau ? Oui. Il y a de fortes chances, puisqu’elles l’y ont placé religieusement il y a fort longtemps ; si longtemps qu’elles ne s’en souviennent plus mais l’Hiroshima de l’accouchement a remué des strates très, très anciennes de souvenirs qui se retrouvent soudain à ciel ouvert : cet enfant à elles, désiré depuis toutes petites filles après qu’elles aient cru découvrir le sale coup de leurs mères qui les a fait naître sans pénis et qu’elles se soient tournée vers le père incarnant à leurs yeux de petites créatures blessées et furieuses le réparateur de l’infamie, la vilenie maternelle, lui réclamant un enfant.

 

Un enfant du père ! « Pouah, quelle idée grossière et ridicule. » Je ne vous le fais pas dire, tellement grossière et tellement ridicule qu’elle sera enterrée, enfouie, ignorée, méconnue, sous des tonnes de ridicule, de honte, d’irraisonnable, d’insensé… Hum, tout ce qui fleure bon le refoulé et qui intéresse la psychanalyse, ce qui lui vaut – entre nous soit dit – d’être encore et toujours considérée comme billevesée.

 

Bon, je n’insiste pas davantage, je passe aux chansons d’amours de mère au fils et vice versa et je vous le demande : pourquoi tant d’amour ?

 

Ainsi, Luis Mariano et Tino Rossi chantant en 1958, à un âge pourtant avancé pour chacun d’eux : « Maman la plus belle du monde/ Aucune autre à la ronde n’est plus jolie (…) » une reprise bien sage de la chanson de Marino Marini « La più bella del mondo » bien plus sulfureuse : « Tu sei, per me, la più bella del mondo / E un’amore profondo mi leg’ a te / Tu sei, per me, une cara bambina / Primavera divina per il mio cuore (…) Gli occhi tuoi sinceri mi parlano d’amor’ (…) Tutto tu sei per me (…) »1 Au secours, je n’aurai pas aimé être la femme de cet oiseau-là ! Je propose un Pouce car il est aussi l’interprète de « Volare nel blu dipinto di blu », alors on lui pardonne ?

 

Donc en 1958, il n’y avait pas encore la pilule, pas d’avortement légal, pas de divorce aisé mais on pouvait s’égosiller à chanter l’amour de la mère sur tous les toits et tous les tons !

 

En 2017 il y a Virginie-fait-sa-cuisine qui nous serine aussi que « Maman, tu es la plus belle » ; j’ai d’abord cru à un second degré… pff ! En vain.

 

En 2017 il y a Gradur qui chante « Maman », dur, dur !

 

En 1974 Marie Laforêt nous attaque avec « Cadeau » : la dette ineffaçable que certaines mères ont dans le regard quand elles nous regardent alors qu’on a déjà 30, 40, 50 ans et même davantage.

 

En 2004, Françoise Hardy nous sort son 24e album pour lequel elle est certifiée disque d’or et remporte le trophée de l’interprète féminine de l’année aux Victoires de la musique en 2005 ; la chanson éponyme est celle d’une mère malade à son fils pour le préparer à l’idée qu’elle meurt, mourra…

 

En 2012 c’est Sexion d’Assaut avec « Avant qu’elle parte » : au moins, ici, la mort d’icelle vient adoucir la dette…

 

En 1995 « Les yeux de ma mère » d’Arno est sans doute la plus troublante, car la moins dissimulatrice : « Dans les yeux de ma mère / Il y a toujours une lumière (…) Ma mère elle a quelque chose / Quelque chose dangereuse / Quelque chose d’une allumeuse / Quelque chose d’une emmerdeuse (…) ».

 

Vous savez bien : parler les « choses » n’empêchent pas d’être poète, inspiré ou légère ; bien au contraire, ça ne fait que diluer la pudeur gluante du mazout de notre rien vouloir savoir de notre flétrissure.

 

Et maintenant, ouvrons grands nos bras à Août !

 

 

1 Tu es pour moi la plus belle du monde / Et un amour profond me lie à toi / Tu es pour moi une chère petite fille / Un divin printemps pour mon cœur / (…) Tes yeux sincères me parlent d’amour / Tu es tout pour moi (…)