La lettre du RPH de mars 2018

Lettre du RPH

Édith de Amorim

Mars 2018

 

 

 

« Panesthésies » et « hypotypose »

 

 

 

         C’est un titre barbare, amplement bricolé et Dieu sait que je suis une bricoleuse endimanchée ! Prenez-le comme l’illustration de la citation « mystère » d’une précédente Lettre : « Trouver n’est rien. Le difficile est de s’ajouter ce qu’on trouve. »

 

Cette citation est extraite du « Monsieur Teste » de Paul Valéry et les personnes qui ont trouvé la bonne réponse – d’ailleurs il n’y a que des personnes qui trouvent les bonnes réponses en ce moment, c’est un peu étrange, non ? – n’ont pas cherché dans leur mémoire mais dans le world wilde web qui donne toutes sortes de réponses y compris les justes.

 

Est-ce à dire qu’elles n’ont pas trouvé ? Pas sûr car la question était, en fait, bien mal posée ; outre qu’elle l’était pour frimer, elle était posée à la va-comme-j’te-pousse et en dépit du bon sens, surtout de celui aujourd’hui en cour qui veut que le savoir s’externalise, s’accessoirise : on va le chercher sur, dans, chez, l’internet et on ne s’en « encombre » plus, on ne se l’ajoute plus !

 

De fait, on obtient certes des réponses justes mais qui sonnent faux, creux, car, ainsi que l’évoque Valéry, ces réponses ne sont pas fruits d’une somme mais d’un plus qui flotte sans s’agréger jamais aux autres savoirs, un peu comme une crotte. Des réponses-crottes à des questions idiotes.

 

Voilà pour mon mea culpa et je fais la promesse que jamais plus dans cette Lettre il n’y aura espace pour une question de merde. Passons donc à ce qu’écrit ce bel auteur :

 

         Que délivre-t-il ainsi sans plus d’ambages ? Tout d’abord que trouver n’est rien, ce qui n’est pas rien comme énoncé.

 

         C’est pourtant bien vrai, si on fait, bien sûr, abstraction des chercheurs d’or, de trésors, ou de martingales, pour qui trouver est tout mais en tant qu’exceptions  – qui toutes sans exception (!) – ne font jamais que confirmer les règles générales du commun des mortels pour qui trouver, effectivement, n’est rien.

 

         Tenez, prenons les mots qu’on trouve, ceux inconnus à notre bataillon – bataillon qu’on aime à s’imaginer plus en régiment, voire en division (y’en a même qui se croient à la tête d’un corps d’Armée) quand, en réalité, ce bataillon tient plus de la compagnie, voire de la section – ces mots neufs qui nous tapent dans l’œil : on s’y accroche et on va chercher leur définition car à en faire usage on pourrait gagner de l’estime, du temps, de l’horizon aussi, outre, évidemment, de la Qulture (avec un grand Q).

 

         Ainsi j’ai trouvé dans un texte de Madame Hélène Merlin-Kajman intitulé « Pourquoi défendre la beauté aujourd’hui ? » –  sur le site mouvement-transitions.fr, en surfant sur le world wilde web vous le trouverez – le départ pour ce bricolage premier : « panesthésies ». C’est par le découpage du mot « anesthésie » en « an-esthésie » et cette précision « aisthèsie » qu’offre son texte que je réalise que mon familier tissé avec « anesthésie » était de l’ordre d’un tout-un, or sa décomposition me fait l’effet d’être devenue cette poule qui trouve un couteau ! Qu’en faire ? Parce que je veux en faire quelque chose, ce mot « esthésie » me plaît beaucoup.

 

C’est bien là que le bât blesse et que Valéry a raison : trouver peut nous transformer en gallinacée, ou pire, si on ne sait comment se l’ajouter.

 

Un peu à l’image de cette nature qui a horreur du vide, l’horreur de la perte nous talonne, nous serre de très près, nous tarabuste, nous, êtres parlants. Donc, sitôt qu’on trouve qu’aussitôt on prend, on s’approprie et, parfois, on s’y perd ; pas toujours, mais ça arrive qu’on se charge lourdement, gauchement de l’appropriation que l’on fait des choses qu’on trouve (et c’est là que je suis d’accord avec Pierre-Joseph Proudhon : l’appropriété c’est du vol).

 

Je reviens à cette « esthésie » que je pris d’emblée pour un substantif signifiant : « sensation, perception » et j’allais de ce pas vous servir des esthésies à tire larigot : erreur d’addition. Car, quelle ne fut pas ma surprise de lire dans mon dico en ligne préféré que ce n’était qu’un « élément suff. » Et comme une surprise n’arrive jamais seule, je réalise ensuite que le mot « anesthésie » est formé d’un préfixe « an » qui signifie « sans » et de ce sublime suffixe « esthésie ». Mais, pardon, où est passé le radical ? C’est quoi ce mot tout de guingois ? Et c’est là encore que je réalise qu’il y en a plein de ces mots fabriqués en accolant un préfixe à un suffixe, tels  « uxoricide » qui signifie « meurtrier (ou meurtre) de son épouse », voyez comme il est d’actualité fait-diversière… Et si Jonathann D. avait su qu’il allait être, ou commettre un uxoricide, l’aurait-il quand même tuée ?

 

Observez comme il est simple de se perdre en s’ajoutant ce qu’on trouve : me voilà, à nouveau, obligée de me faire chien de berger et de regrouper mes moutons follement folâtres.

 

Donc, me croyant interdite de substantiver, je fais le choix de « Panesthésie » parce que ça me fait penser à « pansexualité » le reproche fameux fait toujours à Freud et puis aussi parce qu’à ses débuts, trouver nous enthousiasme, on se croit le roi de la piste : c’est l’esthésie portée à son comble et donc « panesthésie » pour dire le « tout sensation » la  « sensationnelle sensation », l’ « Everest » de la perception. Bien sûr c’est là que l’adjonction tranche, voire jure, tant l’hubris nous guette et appelle sur nos têtes en passe d’être couronnées la vengeance des Dieux jaloux de leur chasse gardée loin des humains. Car l’ajout fait trébucher s’il est mal accordé – vous savez : c’est l’éternelle histoire des carottes et des navets – et ce bel ornement qu’on pensait faire sien se transforme en vulgaire et embarrassant supplétif qui, lui, n’ajoute rien mais comble et ce faisant pointe l’incomplet, l’insuffisant… M’en parlez pas, quelle histoire !

 

D’autant que, écoutant Lacan il y a quelques jours, j’ai tout de suite entendu que lui ne s’était pas embarrassé pour parler d’esthésie par-ci et d’esthésie par-là ; j’ai couru à un autre dictionnaire qui lui n’hésite pas un instant et livre tout de go « nom féminin » (Larousse en ligne)… Vous le croyez ? Un silence effrayant me glace les sangs. Y’a quelqu’un ? … Bon, je poursuis mes ajouts.

 

         Et puis donc j’ai trouvé et ce fut tant mieux. Mais trouver n’est rien.

 

         Donc, j’ai « esthésie » que je prends comme mot et je me l’ajoute et j’ajoute aussi « panesthésie » et aussi « uxoricide » et aussi, tant que j’y suis, « hypotypose » parce qu’il est drôle ce mot (Rhét. : Figure de style consistant à décrire une scène de manière si frappante qu’on croit la vivre) et là nous ne sommes plus dans le domaine du supplétif mais carrément dans celui des aplats !

 

A plat, raplapla, flagada, c’est moi, là maintenant. Et quand je pense au colloque du 7 avril 2018 qui arrive à grands pas et de son Acte 2 sur l’entrée en scène du père, l’hypotypose me recouvre et la thrombose menace.

 

L’entrée en scène du père ? Eh, vous devez bien avoir une idée derrière la tête, vous douter un peu que : c’est le drame, le conjugicide rôde !

 

Entendez-vous, de vos compagnes, monter le chant lourd de leurs féroces plaintes, Messieurs ? Non ? Alors venez au colloque et peut-être sauverez-vous votre peau de père.

 

 

 

En mars on passe à l’heure d’été :

Pas de ciné ni de poésie