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L'importance de manier le transfert en psychanalyse

La psychanalyse est le phare de l'homme

 

Fernando de Amorim
Paris, le 13. III. 2011

 

La psychanalyse existe fondamentalement grâce à la clinique. Parler du « désir des patients » revient cliniquement, me semble-t-il, à se précipiter. Je fais référence ici au document publié sous la responsabilité de notre collègue Danièle Brun. Un patient ne désire pas. Un patient, j’entends quelqu’un dans la position subjective de patient – selon notre « Cartographie » – demande l’arrêt de la souffrance. Cette demande est le sceau d’une demande dont nous ne savons encore rien. Et que dire du « désir de l’entourage » et du « désir des soignants » ? Sinon qu’il s’agit-là de la même difficulté que d’être face au sceau d’une enveloppe toujours cachetée. De même, parler de « facteur psychique » est toujours un peu juste quand cela concerne la clinique.

 

La psychanalyse n’est pas une psychologie. La psychanalyse a à faire à la libido, à la pulsion, au désir. Déchainée, la pulsion peut participer à altérer la génétique, confondre la physiologie, handicaper l’anatomie. Comment cela se produit ? Je n’en sais strictement rien ! Je ne fais que rapporter ici ce que disent les patients. Et pour ne pas rester trop dans l’embarras, je me suis dit qu’il y a avait deux discours : l’un sur l’organisme et l’autre sur le corps ; l’un qui a la fonction de combler l’ignorance du moi, quand par exemple, les patients disent qu’ils sont tombés malades après la mort de leur père, et l’autre dit, sur le divan.

 

Le premier discours, et je le déplore, est méprisé par les médecins et je conjure les psychistes à l’hôpital de le prendre en grande considération, je l’ai appelé fantasmatisation de l’organisme. Contrairement à ce que font les médecins, nous devons l’écouter avec la visée stratégique de nourrir le transfert. Quand on ne sait pas manier le transfert, quand tout simplement on ne sait pas dire les mots justes, ça finit au tribunal, en claques, coups de poings (Cf. « Le Quotidien du médecin » du 1.III. 2011), en coup de couteau, comme ce que vient de vivre notre collègue, le gastro-entérologue Jean-Charles Delchier (Cf. Le Figaro du 3. III. 2001).

 

N’importe quel clinicien peut être confronté à un tel drame : dès qu’il quitte le champ du symbolique, ou qu’il ne peut pas s’accrocher à ce dernier, c’est l’imaginaire (plainte des patients devant les tribunaux), voire le réel (les agressions qui pullulent contre le personnel soignant dans nos hôpitaux) qui prennent le dessus. Au contraire d’augmenter la sécurité dans les hôpitaux – même si cela est aussi nécessaire – il convient de revenir aux fondamentaux de la clinique et la clinique passe par la parole. D’où l’importance d’un rassemblement entre les chefs de service, notre ministre de tutelle et les psychistes (les psychologues, psychiatres et psychanalystes). Il s’agit d’une proposition politique, d’une politique soutenue pour la psychanalyse dans la Cité.

 

Ce n’est pas une prétention des psychanalystes d’offrir leurs services aux médecins, c’est une urgence pour la clinique médicale. La médecine humaine se vétérinarise, si j’ose dire, à vue d’œil. Ce n’est pas un effet du snobisme des psychanalystes de dire que la psychanalyse est le phare de l’homme. La psychanalyse, pas le psychanalyste.

 

La psychanalyse est le phare, parce que par la parole l’être se repère dans l’océan de son existence. Il s’agit d’une parole dite dans un cadre bien précis, à quelqu’un et pas à n’importe qui. Ce quelqu’un compte pour le patient. Le psychanalyste sait manier ce transfert. Le médecin ne le sait pas, le psychologue, le psychiatre, le psychothérapeute pas encore. Le maniement du transfert produit chez le patient et surtout chez le psychanalysant des effets transformateurs, d’apaisement, de responsabilité vis-à-vis de sa vie et donc d’autrui.

 

Pour que la psychanalyse puisse vivre, il nous faut ramer dans la même direction, et non pas chacun pour soi. Une jeune praticienne racontait qu’un patient psychotique l’avait prise en photo à son insu. Et elle, d’une manière spontanée, devant son superviseur disait : « Quelle galère ! ».

 

Cette galère est le pain quotidien du psychanalyste. De Freud à Lacan, et chez tous ceux qui exercent la clinique au quotidien.

 

L’invitation de Jean-Michel Louka, me semble-t-il, nous appelle à rectifier notre relation à la psychanalyse. Cette relation passe, selon moi, par le retour aux fondamentaux du psychanalyste, à savoir, sa propre position de psychanalysant. Nous ne pouvons pas savoir ce qu’est la psychanalyse, c’est-à-dire, ce qu’est le désir, si nous nous comportons comme une poule devant un couteau à chaque fois que vient notre tour de nous allonger sur le divan.

 

Je pense que la psychanalyse du psychanalyste est sans fin. Elle a une sortie, bien entendu, mais elle est sans fin pour le psychanalyste, histoire de protéger le psychanalysant et la psychanalyse du désir de la personae du psychanalyste.

 

Au lieu de considérer cette proposition comme contraignante – même si elle l’est, tout au moins pour le moi – nous devrions nous réjouir d’être dans la position de psychanalystes.

 

Chez les médecins, il faut un diplôme et on est médecin pour la vie. De même pour les psychologues et pour tous ceux qui s’accrochent à leur diplôme pour justifier leur existence clinique.

 

Chez nous, psychanalystes, tout bouge. Tout le temps.

 

Chez les diplômés – et nous le sommes aussi, bien entendu – il y a des « formations continues », des « formations permanentes ». Ces moules ne peuvent que renforcer le moi, le rendant toujours plus fort. Lacan a passé des années à attirer notre attention sur cette idéologie qui vise à museler le désir inconscient.

 

Si pour le poète anglais, Wordsworth, l’enfant est le père de l’homme, pour nous, le discours du patient, et surtout du psychanalysant, est le père du psychanalyste. Le discours dit le plus librement, indique « La direction de mon […] ouïe joyeusement attentive », selon le poète portugais Pessoa.

 

Incontestablement nous avons cette merveilleuse opportunité d’être plus proche de la poésie que de l’anatomie quand bien même Lacan aimait beaucoup cette dernière, car elle n’a pas de nœud.

 

Etre proche de la médecine ne veut pas dire se confondre avec elle. La fonction du psychanalyste en médecine c’est d’entrer dans le service et d’en sortir avec le malade, une fois ce dernier prêt, c’est-à-dire, une fois qu’il est dans la position de patient.

 

Quelle perte de temps, quelle erreur clinique de ne pas fait usage de ce que, avec l’aide d’une fréquentation assidue de médecins et surtout de chirurgiens, j’avais appelé la cônification du transfert.

 

La cônification du transfert est une stratégie clinique qui vise à inviter le patient, une fois prêt à sortir de l’hôpital, donc avec l’accord de son médecin, de parler avec le psychanalyste hors des murs de l’institution. Ce colloquium peut démarrer par les raisons de son séjour dans ce lieu riche en micro-bio et en joui-sens qu’est l’hôpital.

 

La médecine et la psychanalyse, mais surtout les patients, ont à gagner si nous mobilisons cette nouvelle génération de médecins et de psychanalystes pour une effective clinique du partenariat.

 

Dans cette position clinique c’est au psychanalyste, l’enfant, d’aller porter de l’aide, de sensibiliser, de civiliser l’homme, le médecin.

 

Sera-t-il sensible au héraut de l’inconscient ? Cela n’est plus de la responsabilité du psychanalyste dont le travail est de parler et non d’espérer être entendu. Un psychanalyste n’attend pas. Il est acte, dans sa clinique.